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Paresse idéologique et confort sondagier

La présidentielle était partie sur les chapeaux de roue au PS – lancement surprise par Ségolène Royal, coup de semonce de nouvel an par Valls, entrées en campagne de Montebourg puis de Hollande – et puis, effet léthargique du « projet » forcément consensuel peut-être, elle est tombée dans un faux rythme, ou plutôt dans une pluralité de rythmes discordants qui en brouillent la compréhension. Le calendrier a aussi sa part de responsabilité : entre les candidats déclarés, ceux qui ne sont déjà plus en piste, ceux qui le seront peut-être, ceux que l’on pousse à l’être à la demande générale, il y a de quoi se perdre. Chacun suit son petit rythme pépère, DSK ses réunions pour sauver le monde, Aubry ses bureaux politiques, Hollande son plan médias, Royal son arpentage du terrain, en une sorte de drôle de guerre où les hostilités – politiques et idéologiques – sont ouvertes sans avoir vraiment commencé.

Projet et calendrier jouent donc certainement un rôle dans cette situation. Mais ils ne sont pas les seuls. Car au-dessus de cette course de lenteurs plane une ombre imposante : celle des sondages. Semaine après semaine, ils enfoncent un peu plus Nicolas Sarkozy, et installent l’idée que la plupart des candidats socialistes peuvent le battre, avec pour seule variable l’ampleur du KO. Dans ce qui est présenté comme une sorte de fatalité, quel besoin, pour ceux qui font la course en tête, de sortir le grand jeu, de prendre des risques et de ne pas se contenter d’une campagne petit bras ? Il suffit de laisser prospérer les sondages, et de travailler parallèlement ses réseaux dans le PS, en vue des primaires. A cet égard et dans des styles différents, François Hollande et DSK semblent vouloir reproduire la recette du succès de Ségolène Royal en 2006 : échapper aux vicissitudes de la vie du parti et de ses interminables cérémoniaux chinois (« le projet »), pour arriver, le jour du vote de désignation du candidat, tout auréolés de leur brevet IFOP/Sofres/Opinion Way de martingale anti-sarko.

 

Pour autant, cette logique de la prime à la popularité, dont peut d’ailleurs aussi bénéficier Martine Aubry, omet un détail essentiel de la « méthode Royal » millésime 2006. La candidate à la candidature ne bénéficiait pas d’une popularité à blanc, comme celles d’un Kouchner ou d’une Rama Yade, plus liées à leur bonne tête et à leur air sympathique qu’à des raisons précises et concrètes. Sa popularité à elle, elle s’était bâtie en partie sur une image de renouveau, c’est incontestable, mais aussi et peut-être surtout sur les idées qu’elle n’avait pas cessé d’émettre pendant la pré-campagne. Prise au sérieux des questions sécuritaires, jurys citoyens, encadrement pour les jeunes délinquants, nation et « France métissée », construction européenne … Sur la plupart des sujets qui faisaient alors l’actualité, elle avait pris des positions qui clivaient avec ce qui était perçu comme la pusillanimité poussiéreuse du PS d’alors. C’est cette série de coups de force idéologiques  (accompagnés d’une méthode politique originale, la démocratie participative) qui avaient séduit la presse et les sympathisants, et permis la construction d’un fort mouvement de soutien ex nihilo à sa candidature. Il n’est pas sûr qu’une Ségolène aussi populaire (sondagièrement parlant), mais sans ce « contenu » politique aurait autant mobilisé et intéressé au moment de sa désignation, puis en campagne.

 

Aujourd’hui, les sondages sont là – pour d’autres – mais où sont les idées ? Oh certes, des propositions il y en a, un plein site chez Hollande, un livre entier chez Montebourg, à longueurs « d’universités participatives » chez Royal. Je ne doute pas en la capacité des uns et des autres, une fois désignés, de compléter le projet socialiste avec des mesures ingénieuses et susceptibles de susciter l’adhésion. Mais le fait même que ce projet n’ait nourri l’actualité que pendant quelques jours, en dit long sur l’incapacité, pour le moment, des prétendants en lice, et plus largement des socialistes, à mener l’offensive sur le terrain idéologique. Et à définir les termes du débat pour 2012.

 

Certains ont pourtant bien tenté de dépasser le stade du catalogue de mesures. Martine Aubry défend le care, Arnaud Montebourg la démondialisation, mais il ne me semble pas que l’un ou l’autre concept aient véritablement marqué les esprits. La faute sans doute à leur trop grande abstraction : à la différence des idées avancées par Ségolène Royal en 2006, ils échouent à articuler clairement valeurs (par exemple l’autorité) et mesures compréhensibles et identifiables (l’encadrement militaire des jeunes délinquants). D’où ce sentiment de flottement, de collage de fortune entre catalogues de mesures techniques d’une part, et laïus philosophiques ajoutés pour faire joli d’autre part.

 

Quoi de plus friable, et de moins mobilisateur, qu’une popularité d’image, une popularité à blanc ? Pour le moment, les différents candidats en lice sont définis en fonction de leur électorat supposé et de leurs champs d’expertise présumés (untel plaît aux seniors et maîtrise la fiscalité, un autre est le seul à comprendre la mondialisation et à ratisser à droite et au centre, une autre encore est appréciée du peuple et des jeunes), plutôt que par le projet de société qu’ils pourraient porter. Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas au PS, et est encore pire ailleurs (que dire d’Europe Écologie-Les Verts et de ses candidats castés, la juge incorruptible, le pilote d’U.L.M. !). N’est-il pas désespérant de trouver chez le seul Villepin une tentative programmatique un peu plus ambitieuse, ouvrant de vrais débats sur le revenu universel ou la citoyenneté – même si l’on est en total désaccord avec ce qu’il propose ?

 

Bref, il est urgent pour le PS – mais cela vaut également pour le reste de la gauche – de sortir du confort sondagier et de la tranquille assurance du naufrage d’un Sarkozy qui, de son côté, reconstruit brique par brique sa ligne politique pour 2012 (pouvoir d’achat, discours anti-élites, interventionnisme extérieur, fermeté sur l’immigration). De faire des primaires un moment fort de mobilisation populaire autour d’un débat digne de ce nom. La demande est considérable pour une proposition politique radicalement réformatrice. Il serait quand même dommage de jouer les lièvres utiles de la tortue élyséenne qui, aussi affaiblie qu’elle soit, en a visiblement toujours sous la carapace.

 

Romain Pigenel

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7 Comments

  1. Nicolas wrote:

    Je ne sais pas que penser. Avant de démarrer la campagne, il faut savoir ce que l’adversaire a à dire. Parce qu’en 2007, malgré son beau programme…

    Mercredi, avril 20, 2011 at 6:45 | Permalink
  2. En même temps, on ne peut pas se contenter de se positionner par rapport à Sarkozy, ou alors ça veut qu’on lui laisse une fois de plus l’initiative …

    Mercredi, avril 20, 2011 at 7:54 | Permalink
  3. seb musset wrote:

    Yep. N.S part de loin, mais il part. Et pour le moment, la “mesure symbolique”, même bidon, est de son côté.

    Mercredi, avril 20, 2011 at 10:25 | Permalink
  4. ema wrote:

    le PS tire à blanc

    Mercredi, avril 20, 2011 at 11:12 | Permalink
  5. GdeC wrote:

    je pense effectivement qu’il est dangereux pour les ténors du PS de se reposer sur des lauriers si fanés… d’autant qu’ils ne sont pas encore cueillis. Ainsi, et si ce n’était pas Sarko qui représentait la droite en 2012, vous auriez l’air bien fins ! Enfin, moi, le ps, ce que j’en dis… Aucun des candidats de ce parti ne changera de toute façon quoi que ce soit à la logique capitaliste carnassière à l’oeuvre, qui dépasse notre seul petit microcosme français. S’il ya changement de système économique, ce qui serait hautement souhaitable, ce ne peut être qu’à plus grande échelle donc…

    Mercredi, avril 20, 2011 at 14:03 | Permalink
  6. @Seb Musset : toujours la même histoire, le con qui marche contre les intellectuels assis.

    @ema : il mitraille, même !

    @GdeC : si je te suis, il n’y a plus rien à faire et autant attendre les bras croisés un hypothétique retournement mondial ? Eh ben c’est la folle ambiance au Parti de Gauche :-)

    Mercredi, avril 20, 2011 at 16:06 | Permalink
  7. Chez Louise wrote:

    Peut-être le PS espère-t-il que la candidature de DSK lui permettra de reverdir ses lauriers et de tout miser sur l’image internationale de son candidat…justifiant alors la faiblesse de ses idées par la nécessaire mondialisation, le contexte international, les engagements diplomatiques, etc.
    Je en sais pas, mais il me semble qu’on est très mal barrés!

    Jeudi, avril 21, 2011 at 21:32 | Permalink

17 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Mercredi, avril 20, 2011 at 8:07

    Les bons #sondages et l'effondrement de #Sarkozy vont-ils tuer la #gauche ? #variae http://bit.ly/fU8Dzg

  2. Mathieu en vrai on Mercredi, avril 20, 2011 at 15:42

    Paresse idéologique et confort sondagier http://t.co/26iv2ID via @Romain_Pigenel

  3. Anna Gueye on Mercredi, avril 20, 2011 at 22:10

    RT @Romain_Pigenel: [Variae] Paresse idéologique et confort sondagier http://tinyurl.com/3do4mtj

  4. Monique HAZARD on Mercredi, avril 20, 2011 at 22:23

    RT @Romain_Pigenel: [Variae] Paresse idéologique et confort sondagier http://tinyurl.com/3do4mtj

  5. Laure BARGUILLET on Mercredi, avril 20, 2011 at 23:11

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  6. Simon Tripnaux on Jeudi, avril 21, 2011 at 10:08

    Paresse idéologique et confort sondagier http://bit.ly/gelinQ

  7. Anna Gueye on Jeudi, avril 21, 2011 at 11:12

    RT @Romain_Pigenel: Les bons #sondages et l'effondrement de #Sarkozy vont-ils tuer la #gauche ? #variae http://bit.ly/fU8Dzg

  8. banshees on Jeudi, avril 21, 2011 at 11:15

    RT @LYAEOS: Paresse idéologique et confort sondagier #variae http://bit.ly/fU8Dzg

  9. Louise de Lannoy on Jeudi, avril 21, 2011 at 11:25

    RT @Romain_Pigenel: Les bons #sondages et l'effondrement de #Sarkozy vont-ils tuer la #gauche ? #variae http://bit.ly/fU8Dzg

  10. Louise de Lannoy on Jeudi, avril 21, 2011 at 19:33

    Paresse idéologique et confort sondagier #variae http://bit.ly/fU8Dzg RT @Romain_Pigenel:

  11. GROCK on Jeudi, avril 21, 2011 at 21:45

    Une lecture qui sans doute serait utile #fr2012 "@LoudL: Paresse idéologique et confort sondagier http://t.co/QCD2rCf RT @Romain_Pigenel:"

  12. Variae › 10 mai, embryon de souvenir on Lundi, mai 9, 2011 at 23:56

    [...] suprême. Comme une métaphore d’une gauche qui a trop souvent cru la victoire acquise avant même d’avoir livré bataille ? On ne pourra pas dire, cette fois, que l’on ne savait [...]

  13. [...] pour arriver aux « 50% » fatidiques. Tout l’art de la politique consiste à bâtir des projets nationaux qui dépassent les antagonismes, et donnent des perspectives communes à des populations [...]

  14. Variae › Les primaires, envers et contre tout on Samedi, mai 21, 2011 at 17:45

    [...] devient carrément indéfendable en l’absence dudit champion. Le projet socialiste doit être enrichi, et des risques pris face à un adversaire probable (Nicolas Sarkozy) prêt à tout. Il faudra donc [...]

  15. [...] deux tours. Et si tous les signaux sont au rouges pour Nicolas Sarkozy, il serait illusoire et dangereux de croire (très bon papier de Romain Pigenel sur la paresse de la gauche) qu’il n’y aura [...]

  16. Variae › Copé collé on Jeudi, juin 23, 2011 at 1:15

    [...] à la vertu : avant même d’avoir commencé, et alors même que l’on peut encore avoir des doutes sur la qualité de la confrontation auquel elles donneront lieu, les primaires ont déjà volé [...]

  17. [...] deux tours. Et si tous les signaux sont au rouges pour Nicolas Sarkozy, il serait illusoire et dangereux de croire (très bon papier de Romain Pigenel sur la paresse de la gauche) qu’il n’y aura [...]

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