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Européennes : la menace fantôme

On ne s’appelle pas Dany Cohn-Bendit pour rien. C’est ce que l’on se disait hier matin en écoutant le candidat vert aux Européennes piquer sur Europe 1 une de ces saines colères qui rompent avec la monotonie des interventions calculées et des échanges convenus, sauce langue de bois. Motif de l’esclandre : la surprenante propension des médias et de l’intervieweur du moment à profiter des élections européennes pour parler de tout … sauf des européennes, et notamment à « recentrer » (si l’on peut dire !) le débat politique sur les présidentielles 2012, l’état de la gauche, les guerres de leadership, la petite entreprise qui ne connaît pas la crise de Bayrou. Bref, sur n’importe quoi, tant qu’on ne parle pas de Strasbourg.

Intéressant et bienvenu retournement de perspective. On voyait plutôt ces derniers temps se multiplier les analyses sur le manque de motivation des Français pour ces élections. Dany le Rouge met le doigt sur la vérité profonde de cet état de fait : si les Français ne s’enthousiasment guère à l’idée d’élire leurs représentants strasbourgeois, c’est aussi parce qu’on ne leur en donne aucunement envie. Voire qu’on fait tout pour les en détourner.

D’un côté, des grands discours un peu creux sur la beauté du projet européen, l’importance du vote, etc. ; de l’autre, la réalité quotidienne d’une élection considérée avec à peine plus d’intérêt que de « vulgaires » cantonales ou régionales. On reproche parfois aux Français de traiter les questions internationales par un prisme trop chauvin et national, mais on se situe désormais au-delà de cette tare, puisque le renouvellement 2009 du parlement européen devient en pratique un simple prétexte pour parler des affaires purement internes à la politique française – que le scrutin puisse être vu comme un test pour la politique de Nicolas Sarkozy, on peut le comprendre, mais pourquoi dépenser tant de salive, d’encre et de mégaoctets à parler des alliances de l’opposition au moment d’un scrutin à un tour, et donc étranger à toute logique de rassemblement ? Pour les journalistes et la sphère médiatique au sens large, il semble désormais d’usage de plaquer les marronniers de la politique hexagonale sur la question européenne, qui n’en est plus qu’un révélateur ou un exemple parmi d’autres : rivalité Royal – Aubry, avenir du MoDem, toute-puissance de Sarkozy à droite

Au fond, les élections européennes sont considérées, par les médias mais aussi par les partis, comme une « élection-relais ». Un coup pour voir, entre deux scrutins hexagonaux, permettant de mesurer les forces en présence et de décerner des mandats faciles (car sur liste) à des jeunes que l’on veut lancer, ou, plus souvent, à des moins jeunes qui ont passé leur tour aux autres scrutins. Une façon de gérer la pénurie de postes d’élus (relativement au nombre de prétendants !), et de tâter le pouls du rapport de force entre partis.

La question européenne, au bout du compte, n’est plus qu’un fantôme qui traverse la période sans vraiment la marquer. Fantômes que les candidats (Barnier, Désir, Cohn-Bendit …), délestés de l’attention médiatique au profit des chefs de parti ou aspirants-présidents de la République. Fantômes, les programmes, inexistants (à part pour le PS le Manifesto notion quelque peu fantomatique, il est vrai, aux yeux et aux oreilles des non-initiés). Deux autres fantômes hantent les esprits, celui de la présidentielle, dont ce scrutin serait un premier chapitre, celui, enfin, de la question démocratique. Car comment ne pas voir que, avant même de pouvoir parler sérieusement d’Europe sociale, il faudrait enfin nettoyer la souillure des traités rejetés par les peuples, passés en force via l’intergouvernementalité ? Tant que les électeurs n’auront pas le sentiment de la transparence et de la souveraineté populaires sans lesquelles « démocratie » reste un vain mot, ils se feront eux-mêmes fantomatiques dans les isoloirs.

Le lieu commun sur l’Europe, depuis le choc du refus du traité constitutionnel en 2005, était que les « élites » (intellectuelles, politiques, médiatiques) étaient unies dans leur défense univoque de « l’européisme ». L’actualité y oppose un constat plus sombre : c’est au fond l’indifférence à l’Europe qui domine chez elles. Fantôme guère obsédant, à voir le peu d’émoi que suscitent les révélations sur la faible assiduité des députés français au parlement européen.

Romain Pigenel

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3 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Lundi, juin 1, 2009 at 12:45

    Les médias et l’Europe, sur Telos http://tinyurl.com/mhpl6h et sur Variae http://tinyurl.com/nzmekb

  2. jon on Lundi, juin 1, 2009 at 12:47

    Les médias et l’Europe, sur Telos http://tinyurl.com/mhpl6h et sur Variae http://tinyurl.com/nzmekb (via @Romain_Pigenel) #eu09

  3. EU09.TwitLife.com on Lundi, juin 1, 2009 at 12:48

    RT @blogiboulga: Les médias et l’Europe, sur Telos http://tinyurl.com/mhpl6h et sur Variae http://tinyurl.com/nzmekb (via @Romain_Pigene …

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