L’offensive sécuritaire menée par Nicolas Sarkozy ne laisse pas beaucoup de doute, la campagne du second mandat a déjà commencé. Les bénéfices attendus sont probablement multiples : sortir par le haut du désastreux épisode Woerth-Bettencourt ; rebâtir l’image d’homme à poigne et de premier flic de France du président ; reconquérir l’électorat frontiste considéré comme perdu depuis 2007 ; last but not least, piéger l’opposition. Car malgré les efforts de personnalités socialistes comme Julien Dray, ou Ségolène Royal pendant sa campagne présidentielle, la thématique de la sécurité et des violences reste un terrain difficile pour la gauche, où elle peine paradoxalement, malgré ses réussites sur le terrain, malgré l’échec des solutions proposées par la droite depuis 8 ans, à conquérir un magistère public et à tenir un discours offensif et cohérent.
Les prochains jours diront si l’Élysée tirera ou non les fruits de sa stratégie dans l’opinion. Mais une chose est sûre, le dernier objectif – la paralysie de l’opposition – est déjà en partie atteint. Il suffit d’observer les différentes réactions de la gauche depuis le début des événements de Grenoble, et notamment après le point d’orgue du discours présidentiel tenu dans la même ville. Premier type de réactions, le chœur des démocrates scandalisés, qui crient au crypto-fascisme, à la République en danger, au retour aux années 30. Aussi fondée que puisse être l’indignation face au jeu dangereux de la majorité avec la nationalité et les stéréotypes racistes, elle a pour principal effet de faire parler l’opposition de tout, sauf de solutions à l’insécurité, et donc de nourrir la caricature des gauchistes-laxistes angéliques, plus prompts à excuser les violences qu’à protéger leurs victimes. Deuxième type de réactions, celles des pragmatiques, comme le principal intéressé des récents incidents, Michel Destot, comme André Vallini ou encore François Rebsamen. Soucieux d’afficher leur volonté de prendre l’insécurité à bras-le-corps, ils tombent dans l’excès inverse, la présentant comme un problème dépassant le clivage droite-gauche, et nécessitant une grande réflexion nationale, voire un Grenelle. Là encore, aussi sensée que puisse être cette analyse, force est de constater que non seulement la droite n’a aucun scrupule à instrumentaliser les violences contre la gauche (et que toute perspective de débat honnête est vouée à l’échec), mais que plus encore il existe bien un clivage droite-gauche sur ce sujet, ne serait-ce qu’au sujet de l’usage de la police dans les quartiers (police de proximité ou envoi de CRS quand la situation devient incontrôlable ?). Troisième type de réactions, les « on ne nous la fait pas ». Autrement dit une sorte de méta-discours sur la situation, consistant à disserter sur le fait que Sarkozy construit un rideau de fumée, pour détourner l’attention des affaires ou de l’échec de son mandat. Tout ceci est encore absolument vrai : mais on attend moins de l’opposition une fonction de commentateur politique que la production d’un projet alternatif.
On sent bien que chacun de ces discours contient sa part de légitimité ou d’efficacité, mais qu’il manque encore une approche qui les combine et les dépasse. Une telle approche devrait absolument prendre en compte plusieurs paramètres.
Premièrement, l’amalgame Sarkozy-FN omet de tenir compte du détail et de l’habileté de la rhétorique sarkozienne. Chaque sortie du président ou de son entourage sur la sécurité répond à un événement à forte portée symbolique, et qui a probablement marqué voire traumatisé le pays. Le discours sur les Roms suit une attaque à visage découvert, en plein jour, d’une gendarmerie. Le discours grenoblois suit des émeutes violentes provoquées non par la mort d’un innocent, mais d’un braqueur, ainsi que l’information largement relayée de « contrats » circulant sur les policiers responsables de sa mort. Nous sommes donc à chaque fois dans une logique de loi du talion qui incarne une certaine forme de justice. Bien sûr, cette « justice » n’en est pas une aux oreilles de progressistes et à plus forte raison de militants de gauche ; mais rien ne dit qu’il en est de même pour l’électorat de droite, ou pour des citoyens moins engagés politiquement. En conséquence, dénoncer le fascisme rampant sans pédagogie supplémentaire, ni contre-propositions solides, revient en quelque sorte à dénoncer la justice, sans proposer une autre forme d’ordre républicain à la place.
Deuxièmement, toute proposition n’est pas adaptée à toute situation. Depuis quelques semaines, l’insécurité vit médiatiquement au rythme de faits-divers aussi horribles que réguliers, là où en 2002 le fameux Papy Voise était justement d’autant plus important qu’il était unique. Agressions dans les parcs d’attractions, policiers systématiquement pris pour cible, viol sur une plage … L’actualité ressemble à la une du Nouveau Détective. Ces incidents sanglants provoquent une émotion instantanée et appellent une réponse qui, au moins pour partie, tienne compte de cette instantanéité. Le déploiement annoncé avec un langage martial de lourds effectifs policiers sur le lieu du crime répond à cette attente. En revanche, expliquer que l’on va effecteur un travail de longue haleine sur le contexte social, éducatif, économique … donne à l’inverse le sentiment d’un laxisme et d’une absence de réponse au traumatisme immédiat. Ce n’est pas une question de logique ou de raison – tout le monde peut comprendre, en prenant le temps de la réflexion, que l’envoi du GIGN à chaque émeute n’est pas une solution durable – mais d’émotion. Or toutes ces agressions largement reprises dans les médias jouent sur l’émotion. A ne pas le prendre en compte, ou à simplement le dénoncer avec les méta-discours que j’évoquais plus haut, la gauche se tire une balle dans le pied.
Troisièmement, le retour au passé n’est pas un projet. Les responsables socialistes aiment à rappeler combien la police de proximité de l’époque Jospin aurait empêché les dérives actuelles. C’est sans doute au moins en partie vrai, et cette forme de police fonde notre identité en matière de sécurité. Mais on ne peut pas se contenter de chanter les louanges d’une époque révolue, à l’issue de laquelle, faut-il le rappeler, nous avons été sanctionnés par notre propre électorat. Il faut « reformater » cette proposition, et surtout l’accompagner d’autres mesures inventives et à même de frapper l’opinion, comme celles de Ségolène Royal en 2006 sur les jeunes délinquants, qui avaient contribué à forger son image positive.
Ces paramètres étant pris en compte, l’opposition et le PS, qui en est le parti le plus crédible sur les questions de sécurité, pourraient repartir à l’offensive et faire de ce thème un terrain difficile pour Sarkozy. Quelques initiatives simples nous permettraient de reprendre la main. Réaliser et distribuer massivement à la rentrée de septembre un document compilant le vrai bilan de Sarkozy sur la sécurité ; inflation législative, baisses des moyens et des effectifs sur le terrain … En bref, montrer que c’est lui qui est laxiste, lui qui parle plus qu’il n’agit, et mettre en regard un plan socialiste contre les violences. L’infographie réalisée au sujet de Grenoble montre la voie, mais doit être étendue à l’ensemble de la politique du ministre de l’Intérieur puis président. S’interdire parallèlement d’employer à longueur de communiqués des termes comme « ignoble », « stigmatiser », et autres « bafouer l’humanisme », qui se perdent dans le brouhaha ambiant sans convaincre personne. Un reportage vidéo interviewant les maires et élus socialistes obtenant de vrais résultats sur le terrain pourrait être simultanément diffusé sur Internet. Enfin, montrer que la sécurité est devenue une vraie priorité pour le PS, en lui attribuant dans la vie interne du parti, non pas un « forum des idées », petit colloque de spécialistes, mais une vraie convention nationale associant tous les militants, comme celles qui ont déjà eu lieu sur l’économie et la rénovation. L’angle en serait simple : « la sécurité, un bien républicain pour tous », à la différence du traitement qu’en fait l’UMP, qui abandonne les plus pauvres et privatise progressivement ce secteur.
Le Parti socialiste détient probablement entre ses mains tous les éléments pour faire de la sécurité un axe de combat victorieux contre Sarkozy. Mais la plus grande réussite de ce dernier est probablement, pour le moment, de faire déraisonner et d’anesthésier le premier parti de l’opposition, et de le pousser à se réduire à sa caricature de rassemblement de bobos “droitsdelhommistes”. Trop souvent entend-on encore dans les réunions de section que “la sécurité est un thème de droite et qu’on ne gagne pas là-dessus”. L’heure est venue d’oublier une bonne fois pour toutes ce complexe d’infériorité.
Romain Pigenel
9 Comments
Excellente analyse. J’ai eu peur un instant que l’opposition se loge dans une critique stérile. Reprendre l’initiative sur le bilan (mauvais) de Sarko sur l’insécurité est la meilleure chose qui vaille. Billets à venir chez moi également. Bravo.
Bonjour,
Si la gauche perd les élections sur des questions de sécurité, c’est de sa propre faute, c’est la gauche qui donne dans l’angélisme, qui nous effraie à mort !
Je suis un électeur de gauche, mais bien souvent j’accorde mon suffrage à un parti de gauche uniquement dans le but de voter contre la droite…
Il faut commencer par arrêter de diaboliser la répression, et de sur-idéaliser la prévention. La prévention ne fonctionne que s’il y a répression quand on rompt le contrat social, et en particulier quand on piétine l’offre d’indulgence qu’est la prévention.
Vous avez entièrement raison, il faut “pièger” Sarkozy avec son bilan désastreux depuis 8 ans de fonction concernant la sécurité. Sarkozy est un nul ou alors c’est une “tactique électorale” qui lui sert pour faire sentir que l’insécurité règne en France. Et surtout pour cacher les Affaires en cours concernant Woerth/Bettencour sans oublier l’Attentat de Karachi où ses combines politico-financières le font complice de l’assassinat de 11 Ingénieurs français. C’est un homme “Malhonnête” qui n’aurait jamais dû être élu “Préident de la République”
@Juan : merci !
@ Abd Salam : effectivement le débat répression/prévention est justement un faux débat, qui évite surtout de rentrer dans le détail de ce que l’on veut réellement faire
@Michel P. : le problème c’est qu’actuellement on ne l’attaque vraiment efficacement ni sur les affaires, ni sur la sécurité
Comment peut-on encore réclamer un grenelle quand ceux qui ont eu lieu n’ont été qu’une vaste entreprise d’enfumage médiatique et politique ?
C’est vrai, le clivage gauche droite est plus que pertinent en matière de sécurité (ça me faisait mal de voir Vaillant en 2002, réclamer la paternité de certaines mesures de Sarko !) parce que tant que la gauche ne proposera pas une alternative au système actuel qui accroit toutes les inégalités, qui crée de la précarité, qui s’accomode d’un taux de chômage à 10 %, tu pourras toujours discourir ou faire dans le plus sécuritaire…
Le social, c’est une donnée importante pour la sécurité…
bon billet.jzi eu le meme angle sur mon blog ou presque. excellent
J’oublaiis : Moi je pense qu’il faut insister sur deux choses, ce que j’ai essayé de faire sur mon blog
1-Sarkozy est inefficace sur l’insécurité
2-Cette affaire ne sert qu’à protéger les magouilles de Woerth.
Le reste du débat est piégé: Oui moi aussi je voudrais qu’on dégage tous les cons qui excisent des gaminent. Oui Lies Hebbadj n’a rien à faire dans la République. Du coup les gens répondent oui à ce type de question. Et le gouvernement récupére dessus.
Si on leur posait d’autres questions sur l’égalité des citoyens, français nés français ou français né étrangers, nul doute que les réponses seraient autres.
@ Des Pas Perdus,
IL n’y a pas de social sans répression ; arrêtez ! arrêtons avec l’angélisme ! ayez pitié !
Il n’y a pas d’éducation sans répression ; et la répression, c’est de l’éducation.
Il ne faut pas opposer la prévention et la répression ; et il ne faut surtout arrêter de bannir la répression !
La répression a son rôle à jouer main dans la main avec la prévention, et les autres outils et paramètres qui constituent une société juste.
J’avais jamais envisagé l’idée du dépassement du clivage gauche-droite comme un risque de récupération. Pas faux ce fut en effet le cas pour le Grenelle de l’environnement, merci de le rappeler.
Moi ce qui me fascine surtout c’est l’incapacité qu’on tout les dirigeants ou hommes politiques, de droite comme de gauche, qu’une montagne n’a pas qu’une face. Qu’ainsi faire que de la répression n’est pas la solution et faire que du social non plus.
Entièrement d’accord avec Abd Salam à ce sujet. Ce doit être mon parcours de gendarme réserviste qui joue ainsi mais je ne comprends pas qu’on puisse dire que la répression ne doit pas exister et je ne comprends pas non qu’on ne s’imagine pas qu’il y a un lien social entre et de par les forces répressives, notamment les forces de police et de gendarmerie.
Quand on sait que les services publics, les institutions sont de plus en plus démantelées le premier lien social qui existe est celui des forces de sécurité. Ainsi je peux vous jurer qu’elles mêmes ne sont pas contentes de la situation, du fait qu’on les transforment en machine à chiffre, qu’on réduit leurs effectifs, qu’on ambitionne d’utiliser leurs difficultés ou leurs désidératas pour des effets de manche politique. Et là la droit et la gauche sont confondus dans ce mécontentement. La première personne politique qui retrouvera un discours et des actes redonnant le lien social des forces de sécurité aura clairement gagner une grande bataille. Mais visiblement c’est pas demain la veille.
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Et si le PS se bougeait sur l'insécurité ? http://tinyurl.com/37m6tqd #violence #sarkozy #ps #insécurité #grenoble
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[...] je vous renvoie bien volontiers à la lecture d’un excellent billet de Romain Pigenel sur Variae. Rien à [...]
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Excellent! RT @Romain_Pigenel Et si le PS se bougeait sur l'insécurité ? http://tinyurl.com/37m6tqd #violence #sarkozy #ps #grenoble
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[...] Dans cette optique, et dans une perspective parfaitement cynique de conservation du pouvoir, Nicolas Sarkozy n’a pas d’intérêt objectif à régler une bonne fois pour toutes le problème de l’insécurité, à supposer que ce soit possible, où à prendre le genre de mesures qui permettraient du moins de le combattre dans la durée. Maintenir un contingent de violence endurcie dans la société, des zones de non-droit qui explosent de temps à autre, peut même constituer une solution de repli lors de passes politiques difficiles – au hasard, lors d’un scandale entachant un membre central du gouvernement, ou pour attaquer des collectivités territoriales où la gauche est très forte. L’incapacité de cette dernière à assumer franchement une position offensive sur cette thématique rend l’équation encore plus profitable. Les violences, qui n’ont pas attendu l’été 2010 pour exploser dans notre société, faut-il le rappeler, peuvent être convoquées à l’envi pour faire une démonstration de force désormais bien rodée, se nourrissant de la peur ambiante et des complexes et pudeurs de la gauche. [...]
[...] pour la sécurité avec une position de gauche. Je ne suis pas le premier à écrire ce sujet. Romain P. a écrit quelques temps avant moi. Je suis d’accord avec lui au moins sur un point : « la sécurité, un bien [...]
[...] et fébrile de la classe politique face à Marine Le Pen rappelle un peu celle de la gauche face à Nicolas Sarkozy sur la sécurité. Face à ces stratégies de provocation et d’occupation du terrain médiatique, il est [...]
[...] de l’immigration. Souvenez-vous : il n’y a pas si longtemps, aborder le sujet de la sécurité dans ces quartiers était tabou à gauche ; des épigones bourdieusiens venaient expliquer que les [...]
[...] une préférence pour les deux dernières citations. Être libre comme on l’entend, selon son bon plaisir, comme on le souhaite, comme on le désire, en écartant toute contrainte , [...]
[...] Mais, c’est bien connu, la foi des convertis flirte toujours avec l’excès. J’ai écouté attentivement les réactions de ces camarades ces derniers jours, notamment au sujet des problèmes de sécurité à Marseille. Et il y a une chose qui m’a frappé dans leur discours. Ils revenaient sans cesse sur ce point : « Sarkozy vous avez promis la sécurité, il vous a menti. Nous, nous nous serons vraiment sécuritaires. Nous ferons ce qu’il n’a pas fait : nous augmenterons considérablement les effectifs de police, nous remettrons la police partout. Il vous a promis 100 policiers, il en a retiré 20 pour en remettre 50 au bout du compte : eh bien nous, nous en mettrons 200 d’un coup ! ». Comme si les socialistes avaient à prouver qu’ils sont les bons élèves de la sécurité ; comme s’ils devaient, encore et toujours, se battre contre un complexe (et une suspicion) d’angélisme. [...]
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