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Martine Aubry, le fond, la forme

Dieu qu’Internet est cruel. A peine lancée, la page annonciatrice du site de campagne de Martine Aubry a généré un buzz parmi les internautes, mais probablement pas celui espéré : sur la sellette, le logo de la première secrétaire, dont la ressemblance marquée avec – au choix – l’emblème de Pepsi, celui des jouets Action Man, ou encore Barack Obama, Carrefour ou Korean Airways, a fait les joies d’un média dont le second degré et la culture du détournement sont des caractéristiques fondamentales.

Certes, comme dirait Jack Lang, il n’y a pas mort d’homme. On parle de plaisanteries sur Twitter et sur Facebook, sur une partie de la communication d’une candidate à peine déclarée, et qui aura donc amplement le temps d’apporter des correctifs à des détails de ce type. On peut légitimement souhaiter et espérer, en outre, que les primaires se fassent sur autre chose que sur des comparaisons de logos. Enfin et surtout, ces considérations échappent probablement aux millions de Français qui n’ont même pas encore commencé à s’intéresser à la présidentielle, et a fortiori aux micro-aléas des primaires socialistes. Certes.

 

Pour autant, on ne peut pas dire que ce « micro-aléa » ne soit absolument pas signifiant.

 

Première chose, le trouble suscité. Il n’y a pas de raison de suspecter une hostilité ou une ironie a priori à l’égard de la candidature de Martine Aubry. C’est donc que le choix du logo n’est pas bon, et pour plusieurs raisons qui apparaissent assez clairement dans les réactions : sa trop grande proximité avec des emblèmes de marques très connues et identifiées, et pas franchement proches du socialisme (Pepsi) ; son schéma de couleurs, et la police d’écriture retenue (probablement voulue cool et moderne), qui évoquent des références inappropriées (les Etats-Unis, un blason de super-héros …) ; enfin, et cela englobe tout, un décalage avec l’image perçue de Martine Aubry, qui, au regard des qualificatifs qu’on lui attribue d’habitude (l’Angela Merkel française), penche plus du côté du sérieux et d’un certain classicisme que de la flamboyance de Captain America. Peut-être est-ce le premier signe d’une tentative de faire évoluer cette image. Mais c’est probablement un mouvement trop brutal, et d’autant plus exacerbé qu’il est muet (le logo est apparu avant la prise de parole de la candidate). Si on ajoute à cela le côté onomatopéique des initiales (MA), qui, comme le remarquait Romain Blachier sur son blog, vont encore dans une autre direction (quelque chose de maternel), on obtient au bout du compte un visuel tiré à hue et à dia entre des connotations inattendues et au moins en partie inappropriées, voire contradictoires.

 

Deuxième chose, ce que cela traduit, ou laisse penser, de la méthode de travail qui a conduit à l’élaboration de ce logo. « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface », dit-on. En l’occurrence, je vois dans ce choix la trace d’un fonctionnement trop artisanal, trop amateur, pour une candidature et un moment de cette importance. Si ce MA avait été testé auparavant auprès de ceux à qui il est destiné, les internautes donc (et ce d’autant plus qu’il semble avoir été pensé pour s’insérer sur des photos de profil Facebook ou Twitter), ces réactions spontanées auraient été sans aucun doute prévues, et je pense qu’un autre logo aurait vu le jour. On peut donc à l’inverse supposer qu’un élément de communication aussi important, pour une candidate qui prétend (et c’est tout à son honneur) se positionner sur le créneau des nouvelles technologies, a été élaboré avec une certaine légèreté, et sans vraiment réfléchir à sa réception.

 

Tout cela n’est pas spécialement rassurant, surtout quand on se dit que la bataille de 2012 sera extrêmement dure sur le plan d’Internet et de la communication. Trop souvent, à gauche (confere, par exemple, les lunettes d’Eva Joly) ces questions donnent le sentiment d’être traitées par-dessus la jambe, ou sans s’en donner les moyens et les compétences nécessaires. C’est d’autant plus regrettable que les moyens financiers, justement, ne sont pas tout. Je disais plus haut que tester le logo de Martine Aubry auprès d’internautes aurait pu éviter quelques déconvenues ; plus largement, il est évident que les partis et les candidats font trop peu appel aux ressources militantes et/ou artistiques en ce domaine, y compris pour ce qui est de la création. On se rappelle du portrait de Barack Obama par l’artiste Shepard Fairey, qui est entré dans l’histoire. Pourquoi le PS ou d’autres partis n’ont jamais songé à lancer des concours de création autour de leurs logos ? Pourquoi s’en remettre in fine à de la (mauvaise) communication institutionnelle, qui de toute manière fonctionne de moins en moins auprès d’électeurs de plus en plus avisés et exigeants ?

 

Une question que tous les candidats feraient bien de méditer dans les prochaines semaines.

 

P.S. A l’occasion du discours de lancement de la candidature ce matin, une correction a visiblement été apportée in extremis au logo, qui porte désormais les mentions supplémentaires « Martine Aubry » et « Présidente 2012 », et voit son bleu légèrement éclairci et “des-américanisé”. Résultat visuellement trop chargé et peu lisible, qui confirme les considérations précédentes.

 

Romain Pigenel

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12 Comments

  1. Marianne ARNAUD wrote:

    Dieu, que les internautes sont cruels !
    Cruels et légers.
    Car enfin se focaliser, à ce point, sur un logo, comme si le résultat de la présidentielle devait en dépendre !

    Mardi, juin 28, 2011 at 13:44 | Permalink
  2. Chez Louise wrote:

    Personnellement c’est le “Je compte sur vous” qui m’a beaucoup choqué en ces temps ou il fait appel à la solidarité POUR la candidate alors que c’est l’inverse que j’attend d’une socialiste: sa solidarité envers les + démunis!

    Mardi, juin 28, 2011 at 14:04 | Permalink
  3. CHICHE wrote:

    Romain je partage ton analyse ! Je crois que le vrai problème des responsables socialistes est de délégué la réflexion et l’expertise à des Fondations et la technique à des agences de communication professionnelles qui sont coupées de certaines réalités.
    Ces pratiques marginalisent le rôle du Parti et celui des militants ce qui conduit à ces couacs ou à de cruelles défaites comme en 2002.

    Gageons qu’une meilleure symbiose entre experts et militants naissent des leçons tirées.

    Mardi, juin 28, 2011 at 14:17 | Permalink
  4. Gabale wrote:

    Excellent billet comme d’habitude.

    Personnellement, je trouve qu’avec un peu de vert, on pourrait y voir une évocation du logo de Pôle emploi.

    Mardi, juin 28, 2011 at 15:15 | Permalink
  5. Gabale wrote:

    Pourquoi je dis vert ? Non, non, bleu et rouge…

    Mardi, juin 28, 2011 at 15:15 | Permalink
  6. Marco wrote:

    On ne perd pas une élection à cause d’un logo, on la perd parce qu’on communique mal sur les valeurs qui font la gauche, de partage et de solidarité entre toutes les composantes de la société, parce que la victoire ne peut être qu’unie et collective.
    A cette heure, j’avoue ne pas avoir trop d’avis sur qui serait le plus à même de renverser le Lider Minimo. Le programme PS étant connu, je vais donc les écouter tous, sans à priori, pour les juger sur la manière le prendre en compte, de l’amender, le faire évoluer, et non sur le message émanant de leurs logos respectifs… Laissons les s’exprimer et faisons notre devoir en les interpellant sur les sujets du quotidien, en leur rappelant qu’il faut rétablir vite la liberté, redonner une signification à l’égalité et réinventer la fraternité… Viendra le temps du choix, et de ressortir l’appel d’Unité2012…

    Mardi, juin 28, 2011 at 16:44 | Permalink
  7. bembelly wrote:

    Tout est désormais question d’image.
    Le visuel semble de plus en plus l’emporter sur le contenu.
    Il n’en demeure pas moins que ces attributs visuels n’auront de sens qu’en fonction d’un contenu structuré porteur d’expérience.
    En clair, c’est le contenu qui valide le contenant en politique! Le naturel revient toujours au galop….

    Mardi, juin 28, 2011 at 22:49 | Permalink
  8. MaBoule wrote:

    Quand on est de gauche, on ne perd pas une élection parcequ’on communique mal ou parcequ’on a un mauvais logo : on perd une élection parcequ’on est complètement nul. Parcequ’on trouve le moyen de faire campagne sur de la pure idéologie au lieu de parler pragmatiquement des problèmes actuels.

    Mardi, juin 28, 2011 at 22:54 | Permalink
  9. Marie wrote:

    Un logo c’est comme une bannière soit on a envie de se ranger derrière, soit non.

    Là c’est clairement non !

    Un proche m’a dit à juste titre :
    “je comprends pas comment ça peut être aussi mauvais quand tu paies le logo le prix d’une maison”

    Après le coup de désir d’avenir on peut se demander si les socialistes ont :
    - des goûts de ….
    - de mauvais graphistes
    - de l’argent à foutre par les fenêtres

    je coche toute les cases

    Mardi, juin 28, 2011 at 23:33 | Permalink
  10. @Marianne : oui et non. Un logo c’est de la communication, donc une façon de convoyer un message, donc c’est aussi, quand même, un message politique. Quoi de plus normal que d’y réagir ?

    @Chez Louise : performance assez auto-centrée, je trouve aussi. Mais bon, c’est un peu l’exercice qui veut ça.

    @Chiche : faute de cette symbiose, les militants baillent aux corneilles et tournent en rond pendant qu’une toute petite partie de la pyramide s’agite, situation hélas courante.

    @Gabale: j’avais raté cette comparaison mais elle a été faite, figure-toi … Quelle cata !

    @Marco : “et non sur le message émanant de leurs logos respectifs” dans un monde idéal, ce serait bien. Hélas en mal comme en bien, ces aspects font aussi une campagne, qu’on le veuille ou non !

    @Bembelly : “Le visuel semble de plus en plus l’emporter sur le contenu” je dirais pour ma part que le visuel est un contenu parmi d’autres ;-)

    @Maboule : où est l’idéologie, où est le pragmatisme, selon vous ?

    @Marie :

    ““je comprends pas comment ça peut être aussi mauvais quand tu paies le logo le prix d’une maison””

    Je plussoie, ô combien ! J’en reviens à ma proposition : arrêtez de payer les boîtes de comm’, faites bosser des artistes !

    Mercredi, juin 29, 2011 at 17:50 | Permalink
  11. Au delà de la nullité graphique du logo vraisemblablement réalisé entre deux portes par un stagiaire, le problème que tu poses est celui de la compétence des équipes de campagne. On a tous en tête la cata du site désir d’avenir payé une fortune à des ringards que Ségo trouvait, en plus, le moyen de défendre. Le dit site a repris figure humaine, si j’ose dire, dès que ce sont les militants qui s’en sont occupés. Mais cette problèmatique du logo ou du site n’est en général que le haut de l’iceberg même si très “visible”. Il faut comprendre que les premiers “fidèles” à entourer le candidat sont ceux qui en espère un retour en cas de succès, donc des politiques “professionnels”, et pas des militants aux compétences en adéquation avec le sujet. Celà peut mener à des dérives graves que seule une plus grande confiance dans la capacité des militants à “produire de la matière” peut circonvenir, encore faut il bousculer le filtrage des-dits politiques…

    Mercredi, juin 29, 2011 at 22:35 | Permalink
  12. @Alain : entièrement d’accord avec ton post, de A à Z. Et je pèse mes mots.

    Lundi, juillet 4, 2011 at 20:19 | Permalink

8 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Mardi, juin 28, 2011 at 11:18

    Martine et son logo / Martine Aubry, le fond, la forme #variae http://t.co/PICxoMo

  2. Trublyonne on Mardi, juin 28, 2011 at 11:29

    [LB] Martine Aubry, le fond, la forme http://bit.ly/jdiRAP

  3. pourquoi pas on Mardi, juin 28, 2011 at 11:38

    RT @Romain_Pigenel: Martine Aubry, le fond, la forme #variae http://t.co/9Ybg2xX

  4. [...] y ressemble. J’aimerais savoir ce qu’en pense Didier Goux, Trublyonne, Nicolas, Homer, Romain Pigenel, Framboize, DomyDom, [...]

  5. G. Alain bembelly on Mardi, juin 28, 2011 at 20:38

    (Variae) Martine Aubry, le fond, la forme : http://t.co/PyN20bL

  6. Aubry, candidate. Et ? « Les coulisses de Sarkofrance on Mercredi, juin 29, 2011 at 6:54

    [...] Romain s’est d’ailleurs emmerdé. L’autre Romain/Variae s’inquiète de la forme. En fait, Martine Aubry est la seule de tous les candidat(e)s déclaré(e)s à avoir savamment [...]

  7. Entre devoir et envie | Alter Oueb on Mercredi, juin 29, 2011 at 15:28

    [...] Il s’en est suivi une vague de commentaires, quelques soutiens, pas mal de critiques plus sur la forme que le fond. Martine s’est lancée dans l’aventure, sans grand décorum, évidemment. [...]

  8. [...] pour créer un effet bonnet blanc et blanc bonnet. A quelle fin ? C’est cette fois la forme de la déclaration de candidature qui donne quelques [...]

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