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A en pleurer

En l’espace d’une semaine, par la publication de deux lettres, Martine Aubry a résumé et confirmé les grandes caractéristiques de son début de mandat de première secrétaire du parti socialiste : l’impuissance, l’amateurisme, et surtout une étonnante incapacité à entendre ce qui se passe et dans son parti, et dans la société.

La défaite des élections européennes lui offrait, paradoxalement, une chance et un espace pour revoir en profondeur sa méthode de direction, et donner – enfin – des perspectives politiques motivantes aux militants. Avec ce choc qui venait sanctionner durement la (non) ligne politique qui avait remporté le congrès de Reims, elle pouvait trouver les moyens de s’émanciper de la coalition hétéroclite qui l’avait installée rue de Solférino, de s’appuyer sur des forces nouvelles et surtout sur les militants pour lancer le processus de refondation que tout le monde attend. Non seulement il n’en a rien été, mais, pire encore, la semaine qui vient de s’écouler a révélé un enkystement dans l’archaïsme, un entêtement dans l’impasse qui sont proprement désespérants.

Deux lettres, deux fautes. Celle, tout d’abord, aux partis de gauche pour construire avec eux une « maison commune » en vue des prochaines échéances. Trop tard, et surtout avec trop peu de crédibilité, quand on voit comment certains de nos partenaires – PRG, MRC – aujourd’hui caressés dans le sens du poil, ont été à l’occasion des européennes traités comme de vulgaires squatteurs, que l’on ne tolérait pas même dans le jardin de ladite maison ! Quelle crédibilité, donc, pour cette démarche qui se pare de la grandeur de la main tendue, mais est d’abord et avant tout perçue par tous comme une émission de fusées de détresse, de la part d’une force politique aux abois ? Et puis, il y a la méthode, doublement erronée, de la lettre ouverte rendue publique. On a bien compris qu’il s’agissait, dans l’esprit de la direction, d’un signal d’ouverture donné à l’opinion. Les militants y ont surtout vu un retour à la vieille logique des accords d’appareil « au sommet », passant une fois de plus allègrement au-dessus de leurs têtes, alors que dans les collectifs, dans les mouvements sociaux, c’est bien par la base que se construit l’unité. Autre erreur, celle consistant à interpeller gauchement et publiquement nos partenaires, sans aucun préliminaire ni préparation d’aucune sorte, donnant une forte impression de manipulation médiatique, de « coup de comm’ » fait sur leur dos. Il y avait pourtant une alternative : celle qui aurait vu Martine Aubry prendre son bâton de pèlerin et se rendre successivement dans toutes les universités d’été des partis contactés, pour expliquer concrètement sa démarche et donner un signe fort d’écoute et de respect. Occasion manquée, et sans doute irrémédiablement gâchée par cette lettre qui a bien fait l’unanimité parmi nos partenaires – mais contre nous.

Deuxième lettre, deuxième faute, le coup de semonce envoyé, le jour de la fête nationale, à Manuel Valls. Après avoir abandonné des camarades dans la tourmente, après avoir laissé se dérouler, à Hénin-Baumont, une lutte fratricide entre socialistes dont les conséquences auraient pu être funestes, la première secrétaire tente de restaurer son autorité bien mise à mal ces dernières semaines en employant la vieille méthode de la tête de Turc, de la victime « expiatoire » pour l’exemple. Ainsi donc, Manuel Valls serait le symbole des fauteurs de trouble, des malfaisants qui viennent troubler l’unité du parti socialiste. On pourrait prendre le parti d’en rire, devant le spectacle cocasse de ces camarades, qui ont failli faire exploser le PS il n’y pas si longtemps, et qui aujourd’hui se muent en Saint Jean Bouche d’Or de la discipline de parti aux côtés de la première secrétaire. Mais le cœur n’y est pas, même pour rire jaune. Le cœur n’y est pas quand on voit que l’expression, rare, de Martine Aubry se concentre désormais sur la dénonciation publique de camarades, alors que les sujets d’actualité sur lesquels elle pourrait prendre la parole et positionner le PS ne manquent pas. Drôle de pratique, vraiment, alors que l’on nous avait pourtant expliqué en long, en large et en travers, lors du congrès, que « le linge sale se lave en famille », même pour une affaire aussi grave qu’un vote douteux ! En vérité, il faut être lucide. Quoi que l’on puisse penser des prises de position de Manuel Valls, il est clair que c’est bien la première secrétaire qui suscite ce type de démarches. En ratatinant la démocratie interne au parti – faut-il rappeler que l’une de ses premières décisions a été de diviser par deux le rythme du Bureau national, conseil politique de direction, puis de le suspendre le temps des européennes, faut-il rappeler qu’elle n’a pas jugé bon de remettre son mandat en jeu après la déroute aux même élections – elle rétrécit l’espace, en interne, pour le débat, et favorise les démarches extérieures. En outre, en intervenant trop peu dans le débat public, et souvent à contre-temps, elle ouvre grand la voie pour d’autres voix que la sienne.

Autant se l’avouer, le bilan comme les perspectives sont sombres. Il semble bien que l’on soit réduit à boire jusqu’à la lie le calice du congrès raté de l’automne dernier, de ce sacre de Reims qui avait pour toute assise politique l’empêchement du camp de la refondation. Nous n’en finissons pas de subir les conséquences de cette absence fondamentale de projet, qui fait du parti socialiste un grand corps non seulement malade, mais à la dérive. Et ce ne sont pas quelques coups de menton, qui sont autant d’aveu d’impuissance, qui y changeront quelque chose. A celles et ceux qui se targuent d’exprimer tout haut ce que les militants penseraient « tout bas », en s’acharnant sur un camarade pour tenter de se donner un semblant de cohésion, nous conseillons d’aller dans les sections, pour se rendre compte de l’étendue du désarroi et de la colère. A moins qu’ils ne préfèrent continuer à se murer dans cet autisme hautain et suicidaire. Absurde, à en pleurer.

Julien Dray et Romain Pigenel

Également publié sur le blog de Julien Dray

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