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Congrès de crise ou crise du congrès ? – TAG 134

Mon éditorial pour le n°134 de la Tête A Gauche, lettre d’information de la Gauche Socialiste.

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Le hasard est parfois d’une cruelle ironie : alors que la crise dite « des subprimes », crise financière venant désormais contaminer l’ensemble de l’économie, ébranle et menace de mettre à bas le système économique néolibéral que les socialistes avaient de longue date dénoncé, voilà que le PS se trouve tout entier occupé à renouveler ses cadres et son équipe dirigeante. Alors que le dîner s’apprêtait à être servi pour six couverts, cette invitée inattendue – la crise – bouscule l’ordre du repas, retourne la table et renverse les écuelles. Et bien que les convives fassent en sorte de sauver les apparences et de garder bonne mine, il faut avouer que le banquet annoncé ne tombe pas au moment le plus propice. Les signes du décalage entre le déroulé de nos débats internes et le ressenti de la société sont manifestes. Assemblées générales de débat sur les motions que l’on peine à remplir, au-delà des militants déjà acquis à tel ou tel texte ; interpellations quotidiennes de nos sympathisants, qui aimeraient nous voir plus présents sur le terrain, qui préfèreraient que nous consacrions nos forces et notre intelligence à leur donner des clés pour comprendre la mutation gigantesque que l’économie mondiale s’apprête à subir. Désorientations de tous nos concitoyens à qui la droite avait promis le festin du pouvoir d’achat, et qui se réveillent au moment où tous les indicateurs virent brutalement au rouge.

Soyons clairs : ce congrès est nécessaire, et doit permettre de remettre le PS au travail et en ordre de bataille pour les prochaines échéances électorales. Nul ne disconviendra, sauf à verser dans une démagogie quelque peu facile, qu’il est important et légitime que les socialistes mettent un peu d’ordre dans la situation quelque peu confuse, qui est celle d’un PS marqué par les recompositions internes et les aléas électoraux des dernières années. Mais cette nécessité ne doit pas nous rendre aveugles à la réalité du moment. Aucun des textes présentés, quels que soient par ailleurs leurs mérites respectifs, ne donne une lecture politique de la crise qui soit vraiment à la mesure de son ampleur et de ses conséquences prévisibles. Cela n’a rien de déshonorant : la plupart des économistes, des experts d’habitude si prolixes, sont tout aussi désarmés, face à cet événement au sens fort du terme – il y a un avant, et un après la crise des subprimes. Il suffit pour s’en persuader de considérer l’évolution du discours public moyen, celui que tiennent les éditorialistes et autres commentateurs distingués : alors que l’on conspuait encore il y a peu le supposé archaïsme des socialistes, qu’on les pressait de se prosterner devant le Dieu Marché, on stigmatise aujourd’hui leur manque de radicalité. De l’accusation de gauchisme à notre endroit, on est passé à celle de gaucherie, en quelque sorte. N’y a-t-il pas jusqu’à Nicolas Sarkozy pour se faire prophète de la régulation et du retour de l’État !

Il faut bien sûr faire la part du calcul et des strictes opérations de communication dans ce retour en grâce de l’Etat régulateur. Mais il n’en reste pas moins que le jeu politique et idéologique est en train d’être rebattu en profondeur. C’est ce qu’on pourrait appeler la pédagogie de la crise : elle ébranle les anciennes certitudes, jette à bas les dogmes et appelle une reconfiguration d’ensemble de la pensée économique et politique. Le reconnaître ne serait pas une honte ni un échec, mais bien au contraire la réponse au besoin de sens et de grille de lecture qu’éprouvent nos concitoyens.

La vraie honte, le vrai échec seraient d’endosser avec fatalisme le costume des éternels retardataires, à la traîne d’un Nicolas Sarkozy qui n’hésite pas à retourner sa veste – ou plus exactement, à en changer – pour critiquer les dérives de la mondialisation et réclamer sa « moralisation ». Sans ancrage idéologique fort, nous sommes menacés par une dérive sans cap, sans attaches, littéralement à la remorque du président de la République. Nous serions alors condamnés à tenter de le dépasser par une surenchère permanente. Il veut mettre de l’éthique dans le capitalisme ? Moralisons-le au canon ! Il parle de mettre des entraves aux rémunérations des dirigeants ? Punissons-les en bloc ! Un coup plus fort, en somme, pour compenser notre coup de retard. Et sur la mauvaise voie : celle choisie pour nous par l’UMP.

Cela n’est pas inexorable, bien au contraire. Il suffit pour cela que nous fassions de notre congrès un grand moment politique au sens noble du terme, où nous débattrions collectivement et prioritairement du nouvel ordre économique, social et écologique que nous pouvons proposer aux Français dans le monde des l’après-subprimes. Que nous nous concentrions sur cette question : qu’est-ce que le socialisme a à dire de la crise ? Qu’est-ce qu’il propose comme modèle de société, de développement, de production alternatif, maintenant que l’idée même d’alternative redevient possible, audible et crédible ? Il ne s’agit ni plus, ni moins, que de réinvestir le terrain de la bataille des idées, de la définition d’une vision du monde. De proposer des concepts à une opinion que des années de discours sur la « fin des idéologies » a si bien intoxiquée qu’elle en est presque venue à croire que la différence entre droite et gauche se résumait à de subtiles différences de réglage, sur une machine par ailleurs intouchable et indépassable.

Une telle orientation nous permettrait d’éviter trois écueils. Le premier, celui du dépassement par une droite sans scrupules et sans honnêteté intellectuelle, qui n’hésite pas à organiser des forums sur la « refondation du capitalisme » après avoir été la gardienne attentive de son conservatisme le plus rance. Le deuxième, celui de la stratégie d’union nationale autour de mesures apparemment consensuelles, stratégie que la droite pourra utiliser pour nous paralyser encore et encore, tant que nous n’aurons pas de lecture politique de la crise, et que nous nous limiterons à établir des catalogues de propositions techniques – aussi bonnes qu’elles soient. Le troisième, celui du gauchisme incantatoire, de la dénonciation violente du « système », des annonces solennelles de la mort du capitalisme, sans proposer d’autre projet que la destruction de l’ordre existant, le protectionnisme frileux et le repli sur soi des nations.

Si notre congrès devient un grand moment de mobilisation intellectuelle, s’il s’attache à définir une politique et un modèle économique socialistes de sortie de crise – thème que nous proposions d’ailleurs pour la première convention thématique d’après-congrès – alors il y a fort à parier que nous nous mettrons dans les meilleurs dispositions qui soient pour redonner envie aux Français de venir militer et réfléchir avec nous. L’enjeu est simple : refuser la crise du congrès, le « nouveau Reims » qu’il est de bon ton de nous prédire ; faire le choix d’un congrès de crise, c’est-à-dire qui prenne la mesure du bouleversement en train de s’accomplir, et qui nous replace au premier rang du combat intellectuel et idéologique.

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