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Et votre candidat, il tweete ?

C’est une question récurrente, un marronnier en devenir, le Graal du journalisme web d’investigation. Ce responsable politique, là, il tweete, mais est-ce qu’il tweete vraiment tout seul ? L’élection présidentielle approchant, la question ponctue les articles consacrés aux stratégies Internet des candidats, quand elle ne constitue pas un sujet à part entière. Et s’il ne tweete pas lui-même, qui tweete, peut-on le rencontrer ? Dernièrement, alors que je discutais avec une journaliste de la campagne en ligne de François Hollande, la question se précisa encore : comment se fait-il que son compte tweete pendant les débats télévisés des primaires, alors qu’on ne le voit pas avec un appareil à la main ? N’est-ce pas étrange et perturbant pour les internautes ?

Des interrogations dont l’intérêt n’est peut-être pas tant la réponse qu’on peut y apporter, que ce qu’elles révèlent de croyances et d’attentes, tant à l’égard des responsables politiques que des médias sociaux.

Commençons par reprendre la question initiale. Au risque de décevoir, elle n’a tout simplement pas de sens. Comme d’ailleurs plus largement toutes les questions revenant à demander si tel ministre ou tel député fait telle ou telle chose, quoi que ce soit, tout seul. L’activité politique d’un grand élu est toujours une activité collective. Considérez qu’il y a, derrière chaque visage vu à la télévision, un ou des collaborateurs qui prennent en charge tout ou partie des activités attribuées à la personnalité en question. Ce qui ne veut pas dire non plus que cette dernière ne fasse rien : on parle d’un travail d’équipe, en synergie, avec l’élu en chef d’orchestre.

Cela se passe toujours comme cela, dans des proportions variables bien entendu, dès qu’on se rapproche du sommet des collectivités et a fortiori du sommet de l’État. Et tout homme politique qui vous assurerait le contraire – je pense notamment, pour revenir à notre sujet, aux quelques ministres et députés qui se sont taillés un franc succès sur Twitter avec des comptes à l’allure très personnelle – se moque de vous. Vous pourrez au moins lui reconnaître le mérite de bien s’entourer. Et c’est bien mieux comme ça : seriez-vous vraiment rassuré de savoir que votre président de la République passe des heures à liker et retweeter, plutôt que de s’occuper du sort du pays ?

Ce mode de travail, et cette organisation de l’action politique, ne datent pas de Twitter, ni d’hier d’ailleurs. Alors pourquoi cette insistance à remettre toujours sur le tapis la même question ? Parce que les médias sociaux entretiennent une ambiguïté particulière. Twitter, Facebook et leurs semblables sont censés lier et mettre en relation des individus à part entière. On voit même que c’est une tendance qui tend à se renforcer, avec l’insistance de Google Plus à bannir les pseudonymes et les fausses identités. C’est donc l’idée (ou l’illusion) de la relation sincère de personne à personne qui est mise en avant. A côté de cela, il y a bien sûr des marques ou des organisations présentes en tant que telles sur ces réseaux, et personne n’entretient de doute quant à la nature de leur présence. Mais les hommes et femmes politiques sont dans un entre-deux mal défini. Ils ont un statut mixte – et d’ailleurs pas toujours très clairement assumé par eux-mêmes : d’une part, il s’agit bien d’individus ; d’autre part, ils sont sur ces réseaux pour faire connaître leurs propositions, leur action, et le cas échéant se faire élire. C’est toute l’ambivalence homme public/homme privé, candidature/candidat, fonction/personne.

Certains comptes de responsables politique ont un contenu si pauvre ou adoptent un ton si désincarné que personne ne leur prête de nature personnelle. La situation est tout autre quand on découvre un compte où l’on a réellement l’impression que le député Chose ou la ministre Machin vous parle. On devrait se dire : c’est comme quand je reçois un courrier officiel de cet élu, il n’y est probablement pas pour rien, mais je ne peux pas dire avec certitude qu’il l’a écrit lui-même, et en vérité peu importe. Sauf qu’ici, l’illusion de relation interpersonnelle propre aux médias sociaux fonctionne à plein : on a envie de croire à une interaction directe, et on cherche à savoir si c’est le cas, ou si on doit être déçu. Ne serait-ce que parce que c’est toujours une marque de fierté d’être « ami » (ou « suivi par », etc.) avec quelqu’un de connu. Combien de fois n’ai-je pas entendu des gens se plaindre de suivre la page Facebook d’un grand élu de ma connaissance, et de ne pas être « amis » avec son profil personnel, qui a atteint, lui, la limite maximum de contacts ! Et que dire des innombrables messages reçus sur ce même profil et commençant par (ou se limitant à) « c’est vraiment vous qui tenez votre compte ? ». C’est comme cela : même les citoyens les plus avisés sont toujours, au fond, flattés d’être en relation avec une personnalité, et s’enquièrent dès lors soucieusement de la vérité et de l’authenticité de cette relation.

Il faudrait une fois pour toutes sortir de cette ambiguïté et considérer que les profils d’élus sur les réseaux sociaux, sauf mention contraire ou cas particulier, ne sont pas des profils d’individus comme les autres. Ils servent une fonction politique et sont le résultat d’un travail d’équipe. Les responsables politiques, de leur côté, devraient aussi arrêter de surjouer la comédie du c’est vraiment moi qui vous parle, avec photos de pianotage d’iPad ou de smartphone à l’appui. Il est plus honnête de reconnaître la nature collective de l’activité, et de faire sortir au grand jour ceux avec qui ils collaborent (comme cela commence à être le cas pour les « plumes » et autres « nègres »). Une fois que l’on aura abandonné ce « beau mensonge » du surhomme ou de la surfemme qui joue H-24 de l’iPhone tout en réglant des conflits planétaires, peut-être les internautes cesseront-ils, de leur côté, de s’étonner de voir un compte tweeter tout seul pendant que son propriétaire parle à la télévision.

Romain Pigenel

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8 Comments

  1. Nicolas wrote:

    “Et votre candidat, il tweete ?”

    Oui, il tweete même avec mon compte.

    (je sors…)

    Lundi, octobre 3, 2011 at 9:21 | Permalink
  2. Je demande au ségolo-aubryste qui a pris le contrôle du compte du dénommé “Nicolas Partageons Mon Avis” de lui rendre sans attendre.

    Lundi, octobre 3, 2011 at 9:38 | Permalink
  3. Marianne ARNAUD wrote:

    “… c’est toujours une marque de fierté d’être “ami” avec quelqu’un de connu.”
    Quel enfantillage ! Et de plus, mal ficelé.
    “Soucieusement” m’a bien fait rire aussi !

    Lundi, octobre 3, 2011 at 10:25 | Permalink
  4. nico93 wrote:

    Il est bien ce billet mais est-ce le vrai Romain Pigenel qui l’a écrit?

    Lundi, octobre 3, 2011 at 14:33 | Permalink
  5. Un partageux wrote:

    Eh Nico93 ! T’as vraiment rien compris ! Ils sont deux et c’est pourtant écrit : il y a Romain ET Pigenel. Comme Laurel et Hardy ou comme Chaffoteaux et Maury ou bien Roux-Combaluzier.

    Flûte ! On avait dit qu’on ne parlerait pas désindustrialisation, délocalisation. Ça fait le jeu de Montebourg. Puisqu’il est le seul à parler des pue-la-sueur. Tu sais, ces soixante pour cent de l’électorat que Terra Nova met à la poubelle.

    Lundi, octobre 3, 2011 at 16:16 | Permalink
  6. marc wrote:

    Et François Hollande, il fait même retwitter “ses” messages par des robots twitter.

    A propos, F.Hollande et les frais d’inscription d’universitaires, c’est toujours pas clair. Blog Universitas lui a posé la question, il a répondu…. à côté. Sur tout ce questionnaire, d’ailleurs, Hollande a répondu à la georges marchais : il

    Maintenant, j’ai conclu que avec François Hollande, c’est triplement des frais de scolarité universitaire, c’est presque rien de repris du projet PS sur l’enseignement supérieur et la recherche présenté en mai dernier….On poursuit donc les labex, les idex, on continue à bazarder le CNRS, même s’il produit des prix Nobel de medecine….

    C’était pas le sujet ? Bah, je n’ai toujours pas compris qui s’occupe de ce sujet chez Hollande, alors que dans les équipes Aubry et Montebourg, c’est clair et l’interaction avec les responsables thématiques est aisée.

    bien cordialement !

    Lundi, octobre 3, 2011 at 19:02 | Permalink
  7. Un partageux wrote:

    @ Marc

    Tu ne vas quand même pas demander à François Hollande d’être clair. C’est quelque chose qu’il n’a jamais su être ni comme maire de Tulle, ni comme président du Conseil général de Corrèze. Rendre dingue les fonctionnaires territoriaux et les salariés des structures para-publiques grâce à sa proverbiale indécision, ça oui, il sait faire à la perfection. Mais être clair, ça, non, c’est pas dans sa nature.

    Lundi, octobre 3, 2011 at 20:15 | Permalink
  8. Laspic wrote:

    Merci pour cette mise au point très claire et sensée. Bel argumentaire qui démonte un mythe corriace.

    Oui le fonctionnement synergique de l’équipe autour d’une personnalité est fondamental politique. En tenir compte permet de décortiquer beaucoup de leurs pratiques et discours. Ne pas en tenir compte, participe à la création du mythe…

    Mardi, octobre 4, 2011 at 9:57 | Permalink

2 Trackbacks/Pingbacks

  1. Juan on Lundi, octobre 3, 2011 at 7:33

    Variae › Et votre candidat, il tweete ? http://t.co/pkUI6OPu

  2. [...] de représentation de la société. Il est grisant et finalement pas si compliqué de cartonner sur Twitter ou Tumblr : on travaille sur un bassin de population suffisamment réduit pour être [...]

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