Skip to content

500 millions de smartphones, et moi et moi et moi

En quoi l’usage d’un smartphone change-t-il la vie ? C’est la question lancée à la cantonade de la blogosphère par Nicolas du blog geek « Partageons l’addiction ». Question qui résonne d’autant plus chez moi que l’impact des nouvelles technologies sur l’organisation de la société, d’une part, et la façon dont les êtres humains se les approprient, d’autre part, sont deux interrogations personnelles de longue date et de long terme.

Je suis équipé d’un smartphone depuis maintenant un peu plus de 3 ans (successivement HTC Touch Dual, Blackberry Storm et désormais HTC Desire HD). La vraie rupture dans mon usage du téléphone s’est située dans cet avant/après acquisition du premier smartphone, le passage, dans un second temps, d’un modèle à un autre (plus performant) ne faisant qu’affirmer des tendances perceptibles dès le premier achat. Quelles tendances ?

Premièrement, une attitude différente face à l’information. De plus en plus, la norme de « consommation » de l’information (mails, mises à jour de sites ou de blogs, interactions sur les réseaux sociaux) me semble devenir la réception passive, en rupture avec un modèle dominant précédent où il fallait soi-même aller chercher les nouvelles informations. Certes, le flux RSS n’a pas été inventé par les smartphones ; mais l’habitude d’avoir un récepteur simple où sont concentrées toutes les alertes (nouveau message, nouveau commentaire sur Facebook, nouvel article sur tel ou tel journal en ligne …) contribue largement à enraciner cette paresse 2.0 selon laquelle on considère que l’information doit venir à soi, et non l’inverse. A moyen terme, je pense que les smartphones vont jouer un rôle déterminant dans le passage d’un internet de sites et de blogs à un internet de flux. Un smartphone, c’est un peu comme un lecteur/émetteur RSS que l’on aurait dans sa poche en permanence. Effet connexe, l’intermodalité : à force de recevoir toutes les alertes sur un seul écran, les différentes messageries et réseaux donnent l’impression de se fondre, et quand je reviens sur un PC fixe, j’ai tendance à chercher des moyens (comme Tweetdeck) de contrôler le plus de flux possible par une seule application. Autre effet connexe, l’addiction aux réseaux sociaux, qui prennent tout leur sens quand ils peuvent être alimentés et consultés en temps réel (et non pas seulement le soir quand on rentre chez soi par exemple).

Deuxièmement, l’irascibilité par rapport au temps. C’est encore une caractéristique générale du web amplifiée dans le cas particulier du smartphone. La disponibilité immédiate d’une information (message mail, recherche Google …) devient la norme. Le temps qu’il fallait autrefois pour atteindre un ordinateur à partir duquel on pouvait vivre dans l’immédiateté est désormais aboli : on a en permanence l’instantanéité du web dans sa poche. J’ai le sentiment que cela joue (à la baisse) sur la patience et la capacité de concentration. Du coup, il faut s’imposer des moments sans smartphone pour s’extirper de ce flux continu et infini de sollicitations.

Troisièmement, ce que j’appelle « l’effet clic ». Mon premier réflexe pour obtenir des informations sur les objets de mon environnement est de consulter les moyens mis à ma disposition par le smartphone (sites et applications spécialisées notamment). Dans un magasin : comparer les prix, chercher des renseignements sur un produit, demander l’avis d’un tiers par photo interposée … autant de fonctions désormais facilitées et transformées par ces appareils. On en vient à penser comme si tout l’environnement était cliquable – un objet = une question = une requête sur le smartphone. Pour cette raison je crois beaucoup à l’avenir des flashcodes.

Enfin quatrièmement, « l’effet-prothèse ». Le smartphone devenant un accompagnateur et un facilitateur permanents de notre vie cognitive, je me demande en quelle mesure on n’en vient pas à le considérer comme une extension de soi. L’appropriation des objets personnels est déjà une réalité en temps normal (des chaussures dans lesquelles on se sent « comme dans des chaussons », tel ou tel vêtement qui est comme une « seconde peau » …), mais elle est d’autant plus amplifiée dans ce cas que l’objet concerné constitue un élément essentiel de notre rapport au monde et à autrui (comme je le détaillais précédemment). Un peu comme une paire de lunettes, le téléphone est moins qu’une partie de notre corps (pour combien de temps encore ?) mais déjà (beaucoup) plus qu’un objet personnel banal. Même face à un ordinateur de salon objectivement plus confortable, il m’arrive de préférer utiliser le smartphone pour des opérations simples, comme s’il devenait plus naturel (ou naturel tout court). Il constitue une prothèse au plein sens du terme puisqu’il augmente considérablement, aussi longtemps que nous le portons sur nous, notre potentiel de connaissances et d’informations.

Pour reprendre ma distinction initiale, le smartphone ne me semble pas appartenir à la classe des artefacts technologiques qui se contentent de prolonger et améliorer/compléter/remplacer une innovation précédente (comme les tablettes tactiles par rapport aux smartphones, justement), mais bien à celle des objets qui transforment profondément le quotidien et la façon de vivre.

Romain Pigenel

Sont invités à répondre à cette chaîne CC, Dominique, Gabale, Laurent, Xapur, Philippe, La communication politique, MHPA, ValLeNain, Melclalex, Isabelle B, Gaël, Abadinte, Polluxe, Asclepieia, Corto et Seb Musset.

A lire aussi :

11 Comments

  1. Tu as juste oubliè un “détail”…Combien cela te coûte mensuellement cette prothèse ?

    Mercredi, mars 2, 2011 at 10:09 | Permalink
  2. corto74 wrote:

    Je ne répondrai pas par un billet à cette chaine car je n’ai pas de smartphone. A une époque, j’avais toujours le dernier cri technologique ( mon 1er tel portable en 1990). Et puis petit a petit, je me suis désinteressé de cet outil qui me bouffait mon temps et me coutait les yeux de la tête. Aujourd’hui, je me contente d’un simple portable achété 39euros et qui me permet juste de telephoner et d’être appellé + sms.
    Pour le reste, l’information, les comparatifs, les flux, les prothèses… mon ordi me suffit amplement à la maison.

    Enfin, ces smartphones sont si prenant que je suis effaré qd je prends le métro de voir la multitude de gens qui ont les yeux rivés sur leur écran et qui “s’absentent” totalement du monde qui est autour !

    Mercredi, mars 2, 2011 at 10:31 | Permalink
  3. Nicolas wrote:

    Merci d’avoir répondu à la chaîne et tout ça. Je n’ai pas encore tout lu et le “premièrement” m’amène une première réflexion : je me rends compte que le PC que j’utilise au bureau est “rafraichissant”. Mon honorable employeur coupe les liaisons vers Twitter. De fait, pendant mes pauses de la journée (comme là), je pratique un web “à la papa”, en cliquant sur des liens et en consultants des favoris…

    Mercredi, mars 2, 2011 at 11:14 | Permalink
  4. Nicolas wrote:

    Pour le reste, on est d’accord mais je serais moins formel. En fait, le fait d’avoir accès immédiatement à une tonne d’information, dans des délais incroyables fait qu’on est plus intéressé par ce fait que par l’information elle-même qui devient secondaire. J’ai employé quatre fois le mot “fait” dans une phrase, honte sur mois.

    Du coup, je crois qu’il y a un phénomène de mode qui finira par s’estomper… Le soir du départ de Ben Ali a été emblématique. J’étais au bistro, avec mon iPhone à suivre les événements, comme s’ils étaient importants. Mais là, un mois après, je n’ai strictement plus rien à cirer de cette soirée et de ce qu’est devenu Ben Ali.

    Je crois, comme toi, que le smartphone deviendra une prothèse, tu en cites quelques usages, mais pas du tout pour l’information (en tant qu’actualité), mais pour une autre chose. Par exemple, dans le métro, c’est un machin qui me fait passer le temps alors qu’au bistro c’est un machin qui m’aide à finir les mots croisés ou à répondre à des questions bêtes qu’on se pose au tournant d’une discussion. Quel age a Johnny ou qui a marqué ce fameux but, contre l’Ajax, en 1979 ?

    Mercredi, mars 2, 2011 at 11:21 | Permalink
  5. @Alain : si c’est de cela que tu veux parler, je pense que ces appareils certes limités à une partie de la population pour le moment vont se démocratiser progressivement. J’ai lu il y a quelques jours que l’on débattait chez Apple de la stratégie “high standard” de la marque pour envisager de produire de l’iPhone low cost, par exemple. La convergence ordinateur téléphone me semble assez inévitable à moyen terme. Quant aux abonnements, les prix baissent déjà.

    @Corto74 : dans les transports, je pense que c’est aussi une façon de s’isoler et de se soustraire à un contexte désagréable :-)

    @Nicolas : quand je parle d’info, je prends le terme au sens très large (donc tes mots croisés, le but de l’Ajax, ou les secrets de la fabrication du demi servi à la Comète).

    Mercredi, mars 2, 2011 at 18:39 | Permalink
  6. Je suis dans l’avant toi.

    Ça à l’air débile comme expression mais pas tant que cela vous allez voir.

    J’ai toujours considéré un téléphone portable comme un simple moyen de téléphoner partout où l’on est. C’était tellement ça que je n’ai jamais eu de téléphone fixe dans ma demeure d’étudiant. Il s’avère que le temps se faisant je consacre beaucoup plus de temps là aussi à l’information, aux réseaux sociaux et aussi et surtout à l’internet, du point de vue professionnel, informationnel et de recherche.

    Donc en gros je me tâte pour acheter un smartphone. Mais parce qu’il y un mais je m’interroge sur trois points :

    - un le prix. Alain a raison j’ai regardé un peu les prix même le plus simple apparaît vraiment hors de prix et me paraît disproportionné et surtout je m’imagine le perdant et devenant directement dépressif.
    - deux l’isolement. J’ai bien peur de ne plus quitter l’écran et de ne plus voir le monde autour de moi. Ce que j’adore dans le métro, ce que j’aime dans la rue c’est observer les gens, découvrir des choses, j’ai peu qu’avec ce genre d’outil je ne sois plus très attentif à ça.
    - trois l’intérêt. Il me semble quelque peu disproportionné et surtout un peu sur-évalué, surtout que comme le dit Nicolas c’est l’intérêt de l’instant, de l’immédiateté, intérêt qui me fait très souvent chier pour être clair. Je me demande donc si je vais franchir le cap ou pas.

    Mercredi, mars 2, 2011 at 19:08 | Permalink
  7. Franck wrote:

    Excellent article.
    L’analyse est factuelle et dénuée de tout affect & jugement. Du coup, le propos est riche et la vision lucide.
    En continuant le “nuage de points” que posent cette analyse, je pense qu’on pourrait voir émerger des hypothèses originales sur l’avenir à court terme de nos usages mobiles.
    Un exemple ? L’impact, qui va très certainement être massif, de l’introduction de NFC sur les smartphones prévus pour fin 2011…

    Mercredi, mars 2, 2011 at 20:52 | Permalink
  8. antennerelais wrote:

    Intéressant cet article, et merci : ça donne pas envie d’en acheter je vais rester plus longtemps avec ma daube (tel + sms surtout) !
    (déjà j’avais résisté jusqu’en 2004 ou 2005 pour me mettre au tél portable ce que je considérais comme la déchéance suprême (se faire sonner où qu’on soit, parler comme un crétin tout seul dans la rue alors qu’il y a des gens autour, etc.))

    Mercredi, mars 2, 2011 at 22:26 | Permalink
  9. @Antennerelais : c’est vrai que je donne un peu dans le témoignage Smartphonoliques Anonymes … Cela dit si je calcule bien tu devrais passer au portable internet et tout et tout vers 2015 puisque c’est ton temps de latence technologique en matière de téléphonie mobile :-)

    @Fabien : je pense que l’intérêt est conditionné très largement par le mode de vie et la profession. Disons que dans les milieux de la politique, de la communication, de la presse et d’Internet, c’est quasiment devenu une obligation, moitié par mimétisme, moitié par nécessité pratique.

    @Franck : merci ! Je pense aussi que la prochaine convergence se fera avec les divers moyens de paiement électroniques et les pass transports.

    Jeudi, mars 3, 2011 at 19:21 | Permalink
  10. Romain je suis en train de me dessiner un plan de mon avenir. Un ordi fixe de grande qualité, un eepc avec une clé 3G et un smartphone. Ça à l’air à la fois alléchant et angoissant. Toujours connecté c’est tout de même stressant.

    Vendredi, mars 4, 2011 at 0:31 | Permalink
  11. C’est un choix de vie :-)

    Samedi, mars 5, 2011 at 1:14 | Permalink

14 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Mercredi, mars 2, 2011 at 0:01

    [Variae] 500 millions de smartphones, et moi et moi et moi http://tinyurl.com/4tk3zax

  2. Romain Pigenel on Mercredi, mars 2, 2011 at 16:18

    Ce que les #smartphones changent à la vie quotidienne #variae http://bit.ly/dIaAI3 en réponse à @jegoun

  3. Monique HAZARD on Mercredi, mars 2, 2011 at 16:32

    comme c'est bien dit! RT @Romain_Pigenel Ce que les #smartphones changent à la vie quotidienne #variae http://bit.ly/dIaAI3

  4. [...] et Romain m’ont posé la question suivante : « en quoi un smartphone change-t-il la vie [...]

  5. Variae › Enola pas très gai on Mardi, mars 15, 2011 at 13:11

    [...] ?) ; par comparaison, je pense l’opinion beaucoup moins sensibilisée aux incertitudes sur le téléphone portable et les ondes, par exemple. Je ne connais pas de fanas de l’irradiation ou d’excités du [...]

  6. [...] ?) ; par comparaison, je pense l’opinion beaucoup moins sensibilisée aux incertitudes sur le téléphone portable et les ondes, par exemple. Je ne connais pas de fanas de l’irradiation ou d’excités du [...]

  7. [...] nos amis japonais sont dans la tourmente, pourquoi ne pas faire un billet léger comme une plume ? Romain et Gabale m’ont tagué dans le cadre d’une chaine qui, si elle s’emballe et [...]

  8. Variae › Grosse fatigue 2.0 on Mercredi, août 17, 2011 at 10:45

    [...] Non par fatigue de la suractivité en ligne, comme pour les utilisateurs les plus experts et impliqués, mais au contraire par ennui et sous-investissement. Les chiffres de la présente étude sont même [...]

  9. Variae › Variae a trois ans on Samedi, août 20, 2011 at 16:26

    [...] pas autre chose qu’un gagdet pour geeks. L’écran tactile n’équipait que l’élite des smartphones et les tablettes n’étaient que de chocolat. Il fallait aller dans un parc d’attraction pour [...]

  10. Variae › Le twitto, nouvelle icône militante ? on Samedi, septembre 17, 2011 at 18:17

    [...] réunis pour suivre l’émission, l’air très concentrés, penchés et affairés sur nos smartphones. La légende : « Hier soir, à la Cantine, à Paris. Les partisans de François Hollande ont [...]

  11. Variae › Internet s’est arrêté. on Mardi, novembre 1, 2011 at 17:20

    [...] qu’il va être difficile de trouver l’adresse, sans plan du quartier affichable sur mon téléphone, ni [...]

  12. Variae › Attention, blogueur contagieux on Samedi, novembre 12, 2011 at 19:07

    [...] non sans détails absurdes (le terrible blogueur n’a même pas de smartphone, et son blog semble avoir les qualités esthétiques d’un page Geocities), nous sert donc une [...]

  13. [...] et faciles que jamais. Une sorte de supplice de Tantale à l’ère de la connexion Internet en continu,  auquel il est de plus en plus facile de céder quand le temps presse – ou quand, comme pour [...]

  14. Sortir du nucléaire, et après ? | jack on Jeudi, mai 24, 2012 at 19:03

    [...] ?) ; par comparaison, je pense l’opinion beaucoup moins sensibilisée aux incertitudes sur le téléphone portable et les ondes, par exemple. Je ne connais pas de fanas de l’irradiation ou d’excités du [...]

Post a Comment

Your email is never published nor shared. Required fields are marked *
*
*