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Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat

Pluie de plagiats sur la République des Lettres. Après « l’affaire Macé-Scaron », c’est au tour de Rama Yade d’être soumise au supplice chinois du détricotage minutieux, bout par bout, des emprunts dont est constellé son dernier ouvrage. Je me suis moi-même retrouvé de manière inattendue confronté au même problème, à une échelle moindre, avec la reprise en douce d’un billet de Variae sur le film Donoma par une journaliste à la rubrique « critique » (ça ne s’invente pas) du Monde – j’attends toujours, à cette heure, la réponse du quotidien vespéral sur ce (mé)fait.

 

On peut débattre à l’infini du plagiat, de ses formes, de son intentionnalité, des limites qu’il y a entre le chapardage mal assumé et la figure littéraire plus ou moins clairement pensée comme telle. Parmi les exemples que j’ai cités en introduction, il y a clairement deux catégories. Le plagiat à l’ancienne, d’œuvre à œuvre. Et une forme de plagiat toute contemporaine, de web à web, quand Rama Yade se sert sur un site de philosophie, ou la dénommée Sophie Walon sur Variae. Le résultat est le même, mais l’emprunt intra-Internet relève de conditions pratiques qui en expliquent la facilité, l’attrait et sans doute l’explosion à venir (si elle n’a déjà eu lieu).

Je fais partie de cette génération-pivot suffisamment jeune pour être totalement passée au numérique, et suffisamment « âgée » pour avoir étudié et travaillé dans une ère pré-Wikipedia, où l’expression « on y trouve tout » renvoyait encore à la Samaritaine plutôt qu’à Google. Chercher des informations de type journalistique était, il y a encore dix ans, un travail qui pouvait vite devenir fastidieux. Les ressources de Yahoo et autres AltaVista étant vite épuisées, il fallait – et d’ailleurs on ne s’en offusquait même pas – aller chercher l’information physiquement, dans des bibliothèques et autres centres de ressource. Sortir de chez soi, faire le trajet, trouver une place libre, obtenir la source désirée, recopier les informations à la main ou faire une photocopie sur laquelle on retravaillerait plus tard …  Ou encore faire une opération commando dans une librairie, où l’on essaierait de récupérer vite, sur un bout de papier furtivement sorti de sa poche, les informations requises sans s’attirer le courroux du maître des lieux.

Je ne m’étendrai pas sur la situation actuelle, bien connue du lecteur. Elle touche d’ailleurs plus que l’information journalistique : m’étant amusé un jour à me mettre à la place des mes étudiants, je m’étais rendu compte que l’on trouvait, sur Wikipedia, d’honnêtes synthèses de concepts ou d’expériences philosophiques relativement avancés, sans même parler du reste du web, et des ressources anglo-saxonnes sur le sujet.

La culture Google, le geste – devenu une seconde nature – du « rechercher-clic » implique, par rapport à la situation d’il y a dix ans encore, des différences de pratiques cognitives qui vont au-delà du simple « c’est plus facile ». Déjà, nous pensons Google, ce qui veut aussi dire que nous pensons moins par nous-mêmes. Le premier réflexe sur une question est souvent de rechercher ce qu’en disent les sites que nous fréquentons habituellement, avant de googler gaillardement. Le what would Google do tend à remplacer l’introspection comme premier geste intellectuel. Ensuite, le rapport à la matière textuelle passe de l’actif au passif. Je m’explique. Dans l’expédition bibliothécaire que j’ai relatée ci-dessus, la copie d’informations, même la copie, reste un geste actif. Les efforts déployés pour obtenir une information, le temps passé, l’éventuel travail de copie manuelle (au crayon) laissaient toute latitude à un parasitage par sa pensée propre, à un vagabondage intellectuel qui faisait que, partant d’une source imposée, on pouvait en venir, malgré soi, à développer des idées, des reformulations, bref à sortir du rapport read only au texte. Avec la combinaison fatale Google + copier/coller, ce n’est pas tant l’automatisation que la passivité qui progresse comme paradigme. Quand on peut en quelques dizaines de clics trouver toutes les informations dont on a besoin, et les reverser sur sa feuille blanche, en les (re)composant comme on en a envie, pourquoi se fatiguer à refaire ce qui existe déjà, sous une forme satisfaisante ?

Il ne s’agit pas de faire le procès de la technologie. La disponibilité et la duplicabilité accrues de l’information offrent des perspectives de travail et de création réjouissantes pour celles et ceux qui veulent s’en saisir. Mais le vol intellectuel en douce, la copie bête et méchante – sans signaler la source reprise – sont devenus plus attirants et faciles que jamais. Une sorte de supplice de Tantale à l’ère de la connexion Internet en continu,  auquel il est de plus en plus facile de céder quand le temps presse – ou quand, comme pour certaines personnalités, on délègue le travail d’écriture à des « nègres » dont on ne contrôle pas toujours le travail et les sources d’informations … Combien de faux écrivains se sont ainsi retrouvés piégés par les emprunts indélicats de leurs plumes de l’ombre, et obligés d’assumer en public ce qu’ils n’avaient en réalité pas fait (c’est le cas de le dire) ?

Si le domaine de la plagiabilité s’étend, les moyens de sa traque progressent en parallèle, ne serait-ce que via Google. Les affaires citées au début de ce billet (garanti non plagié) ne sont donc que des amuse-gueule : le feuilleton ne fait que commencer.

Romain Pigenel

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7 Comments

  1. Stef wrote:

    Bouhhh, c’est pas beau le plagiat. Moi si je copie, ça se voit ^^

    On peut aussi continuer à aller dans nos bibliothèques municipales (avec nos enfants c’est pas mal)

    Mardi, novembre 29, 2011 at 20:17 | Permalink
  2. Marianne ARNAUD wrote:

    Ce que vous dites est vrai mais en même temps, Rama avait des excuses, il fallait que son livre soit écrit en quatre semaines pour être prêt pour la campagne de la présidentielle, la pauvre chérie. Alors !
    Et si elle n’a pas cité les auteurs qu’elle recopiait, c’était pour ne pas alourdir son texte avec des notes en bas de pages. Cela part d’un bon naturel, tout de même, non ?
    Je me suis “imprégnée” d’une tribune de Luc Ferry pour écrire ce commentaire, d’ici que je soies moi aussi, trainée sur le banc d’infamie des plagiaires…

    Mardi, novembre 29, 2011 at 20:29 | Permalink
  3. Je suis un peu circonspect sur le côté passif de l’utilisation de google. Je pense que cela est l’utilisation de facilité. Je pense au contraire qu’internet permet une utilisation plus personnalisée et plus active voire réactive aux informations que les livres qui ont une plus grande contrainte.

    Néanmoins sur la question de la facilité évidemment. Mais dans le même temps Internet provoque aussi l’effet inverse. S’il est plus facile de copier il est aussi plus facile de relever la copie. En effet avec Internet les contenus sont sauvegardés facilement et au surplus copier un site Internet c’est plus de chance de sa faire repérer que copier un obscur bouquin que personne ou peu de monde retrouvera. Internet est donc à la fois l’instrument plus grand de la copie et son bouclier contre. D’ailleurs tu le montre plutôt en fin de billet.

    Mardi, novembre 29, 2011 at 21:05 | Permalink
  4. @Stef :

    “On peut aussi continuer à aller dans nos bibliothèques municipales (avec nos enfants c’est pas mal)”

    Oh oui ! Je parlais plus de l’activité régulière du plumitif qui doit “pisser de la copie”.

    @Marianne :

    “Et si elle n’a pas cité les auteurs qu’elle recopiait, c’était pour ne pas alourdir son texte avec des notes en bas de pages. Cela part d’un bon naturel, tout de même, non ?”

    Je dois dire que je suis presque ému aux larmes par l’innocence bienveillante de cette pauvre Rama.

    @Fabien :

    “Je suis un peu circonspect sur le côté passif de l’utilisation de google. Je pense que cela est l’utilisation de facilité. Je pense au contraire qu’internet permet une utilisation plus personnalisée et plus active voire réactive aux informations que les livres qui ont une plus grande contrainte.”

    Je suis d’accord. Mais disons que dans l’utilisation régulière, et surtout sous pression de l’urgence, le couple google+copié-collé produit toutes les conditions d’une paresse et d’une passivité quasi naturelles.

    Mercredi, novembre 30, 2011 at 2:46 | Permalink
  5. Avec plus de matière disponible, nous devrions avoir plus d’outils pour le raisonnement. C’est souvent le cas. Ok il est plus facile de copier que de penser. Mais le web est aussi source de pensée plus informée également.

    Mercredi, novembre 30, 2011 at 9:17 | Permalink
  6. ref19 wrote:

    Le plagiat avec Google? ça mérite réflexion! quand l’on sait comment Google traite les hérétiques qui osent copier tout ou partie de texte pour les coller sur des forums ou dans des descriptions de sites web sur des annuaires a des fins de référencement.ils appellent ça le duplicate content (la bête noire du référencement)la, pas de cadeaux il faut travailler, faire des recherches et avoir un bon dictionnaire de synonymes sous la main pour pouvoir éditer a chaque fois un texte original, sinon sanction de Google

    Vendredi, décembre 2, 2011 at 23:37 | Permalink
  7. @Romain B : yep, la réalité est plus nuancée, c’est certain. Mais pour les plagiaires, la tentation est forte !

    Vendredi, décembre 9, 2011 at 2:49 | Permalink

14 Trackbacks/Pingbacks

  1. romainblachier on Mardi, novembre 29, 2011 at 18:12

    via @romain_pigenel Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat http://t.co/zn3sek4C

  2. Traqueur Stellaire on Mardi, novembre 29, 2011 at 18:52

    Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat http://t.co/ydVnc4nc via @Romain_Pigenel

  3. Denis Fruneau on Mardi, novembre 29, 2011 at 18:55

    #technos Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat (Variae) http://t.co/OoinRQIr

  4. Denis Fruneau on Mardi, novembre 29, 2011 at 18:55

    #technos Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat (Variae) http://t.co/OoinRQIr

  5. Denis Fruneau on Mardi, novembre 29, 2011 at 18:55

    #technos Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat (Variae) http://t.co/OoinRQIr

  6. Denis Fruneau on Mardi, novembre 29, 2011 at 18:55

    #technos Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat (Variae) http://t.co/OoinRQIr

  7. G. Alain bembelly on Mardi, novembre 29, 2011 at 19:28

    Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat http://t.co/JVkpfZav via @Romain_Pigenel

  8. [...] Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat [...]

  9. G. Alain bembelly on Mercredi, novembre 30, 2011 at 7:01

    Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat http://t.co/JVkpfZav chez @Romain_Pigenel

  10. Natalie Gay-Blum on Mercredi, novembre 30, 2011 at 10:25

    Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat http://t.co/I8z8LE9w via @Romain_Pigenel

  11. Vogelsong on Mercredi, novembre 30, 2011 at 11:51

    Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat http://t.co/GxRnTJSD via @Romain_Pigenel

  12. keuli keula on Mercredi, novembre 30, 2011 at 15:28

    @_doudette @piroska_ @mipmip zavez vu le billet de @romain_pigenel http://t.co/08H44WWt ?

  13. Bayrou et le vrai visage de l’homme libéral » Chez dedalus on Mercredi, novembre 30, 2011 at 16:36

    [...] Bayrou envisage donc « une modification du droit du travail pour encourager les investisseurs à venir en France » et Nicolas de nous rappeler ce que signifie une modification du droit du travail dans l’esprit d’un Bayrou – d’ailleurs Sarkozy et Fillon ont fait plus que commencer avec les succés économiques et sociaux que l’on connait. Modifier le droit du travail, c’est supprimer le SMIC, augmenter la durée du travail, diminuer les congés payés, supprimer le CDI, augmenter la précarité des salariés. « Un beau programme libéral » conclut avec justesse Nicolas que je m’en vais ci-après outrageusement plagier. [...]

  14. [...] Google, copié-collé, extension du domaine du plagiat Il ne s’agit pas de faire le procès de la technologie. La disponibilité et la duplicabilité accrues de l’information offrent des perspectives de travail et de création réjouissantes pour celles et ceux qui veulent s’en saisir. Mais le vol intellectuel en douce, la copie bête et méchante – sans signaler la source reprise – sont devenus plus attirants et faciles que jamais. [+] Les liens de la semaine home • contact • blog • fb • twitter to experience pearltrees activate javascript. [...]

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