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Enola pas très gai

Ça y est. On vous l’avait bien dit : le nucléaire, c’est dangereux, c’est terrible, ça ne pouvait que mal tourner. Enfin, on ne le disait pas forcément à haute voix, mais on le pensait très fort, et aujourd’hui le moment est venu de taper sur la table. Paradoxale et inquiète satisfaction du Cassandre – plutôt vert, en l’occurrence – qui voit une catastrophe naturelle exceptionnelle lui donner raison finalement ; et plus d’un éditorialiste de nous ressortir, comme lors de l’éruption du volcan islandais, de lyriques considérations sur la démesure prométhéenne de l’homme qui avait cru dompter son environnement, et qui voit l’enchaînement séisme-tsunami-incident nucléaire venir le rappeler à sa médiocrité face à Dame Nature.

Est-il encore possible de débattre calmement et sérieusement de questions aussi importantes, sans chercher à tout prix à agiter les peurs ? Je ne nierai pas, comme certains, le droit à se saisir d’une catastrophe extérieure pour poser le débat en France : on peut tout à la fois partager la douleur des Japonais, vouloir leur venir en aide et s’interroger sur une filière nucléaire dont notre pays est un des principaux bénéficiaires et utilisateurs. Pour autant, la panique montante (et politiquement entretenue) quant aux centrales nucléaires dont l’Europe, et la France en particulier, sont bien pourvues, fait abstraction d’une donnée pourtant essentielle : si les incidents japonais focalisent tellement les attentions et les craintes, c’est bien en vertu de leur caractère extra-ordinaire. Les catastrophes de cette ampleur, et chacun peut s’en réjouir, sont en réalité plus l’exception que la règle : on a, sur quelques dizaines d’années d’exploitation, que quelques événements de ce type à citer, ceux auxquels la situation japonaise est régulièrement comparée (Three Mile Island et Tchernobyl). On nous rétorquera que c’est encore deux, ou trois, de trop ; sans aucun doute, mais dans tous ces cas, le problème n’est pas tant une dangerosité inexorable du nucléaire en tant que tel, que des causes extérieures clairement identifiables – erreurs humaines ou, pour le Japon, catastrophe naturelle d’une ampleur inégalée depuis un siècle. C’est un point important et que l’honnêteté exige de reconnaître : hors conditions exceptionnelles, rien ne permet d’indiquer que les centrales japonaises auraient forcément connu ce destin. Probablement certaines centrales françaises sont-elles également exposées à des risques sismiques, mais la conjonction de malchance que connaît le Japon est peu probable sous nos latitudes. Cela ne veut pas dire qu’aucun risque n’existe, mais simplement qu’il y a une forme d’exagération voire de sophisme à tirer des conclusions universelles d’un cas très particulier. On pourrait même arguer que ces incidents, par-delà les conséquences dramatiques qu’ils vont avoir, font globalement progresser la sécurité des installations, parce qu’ils focalisent sur elles l’attention publique – et donc politique – et contraignent les spécialistes à renforcer les mesures de sécurité et à prendre en compte des risques peut-être minorés auparavant.

En réalité, la catastrophe japonaise – dont il restera à faire l’analyse – n’est pas transposable dans le contexte français sans les précautions intellectuelles signalées plus haut, et surtout ne nous apprend rien de nouveau. On a parfois le sentiment, en écoutant les écologistes, qu’il y aurait une sorte d’omerta et de mensonge d’État, en France, sur les dangers du nucléaire. C’est absolument faux : mis à part les acteurs de la filière industrielle (et encore), je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de Français pour soutenir aveuglément le nucléaire et dans une bienheureuse insouciance. Peu de technologies sont même ancrées dans la culture populaire comme aussi dangereuses et potentiellement fatales (combien de films sur la fin du monde sous les bombes atomiques ?) ; par comparaison, je pense l’opinion beaucoup moins sensibilisée aux incertitudes sur le téléphone portable et les ondes, par exemple. Je ne connais pas de fanas de l’irradiation ou d’excités du compteur Geiger ; il y a me semble-t-il un certain consensus pour considérer qu’il s’agit là d’une technologie hautement problématique, mais moins systématiquement polluante que d’autres et donc défendable par défaut et en attendant mieux, dans un calcul de risques et d’opportunités. La dramatisation recherchée par certains via la demande urgente d’un « référendum » rate le coche : tout le monde est d’accord sur l’objectif d’un monde sans pollution ni radiations ; la véritable question est celle du comment, du quand et du combien, questions auxquelles la proposition d’un vote pour/contre ne répond malheureusement pas. Je remarque que même sur un site aussi pointu que celui de l’association Sortir du nucléaire, ces points ne sont pas d’une limpidité absolue.

Difficile donc de ne pas soupçonner quelques arrière-pensées électoralistes chez des partis qui avaient ces dernières semaines un peu de mal à surnager, dans un débat national trusté par les questions identitaires et par le vote utile anti-Le Pen, et qui trouvent là une occasion (dont ils se seraient probablement bien passés) de refaire parler d’eux et de donner de la voix. Puisque l’on nous propose de sortir brutalement du nucléaire, que l’on nous explique également les conséquences concrètes en termes de coût, de croissance, de restrictions énergétiques immédiates, de réorientations industrielles et économiques. Ça tombe bien ; un grand référendum général, où l’on pourra débattre de ce sujet et de beaucoup d’autres, arrive à l’horizon : celui de l’élection présidentielle. Que les uns et les autres développent des projets énergétiques alternatifs exhaustifs, et les citoyens pourront comparer, et choisir, sur pièce.

 

Romain Pigenel

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17 Comments

  1. nico93 wrote:

    Mais on sait bien qu’il faut en sortir du nucléaire. Les centrales sont vieillissantes, on accumule des déchets à durée de vie dépassant l’échelle humaine, les accidents majeurs sont aussi possibles en France et on va manquer d’uranium à terme.
    Il faut donc travailler à trouver des solutions alternatives et vite.

    Mardi, mars 15, 2011 at 14:17 | Permalink
  2. Vallenain wrote:

    ah, un billet bien mené dans la modération fait plaisir à lire.

    Il est évident que la situation du Japon ne peut pas se transposer à la France.
    vu notre consommation d’énergie, il était inévitable qu’on prenne des risques pour y répondre, la Nature ne pouvant plus nous fournir ; et bien voilà, alors soit on continue à utiliser le nucléaire, en acceptant que dans de rares cas, il y ait des problèmes, soit on arrête de consommer de l’énergie, tant qu’à faire, on interdit la voiture et l’avion et les blessés iront en charrette à l’hôpital le plus proche.

    Mardi, mars 15, 2011 at 14:39 | Permalink
  3. Pierre wrote:

    Analyse très juste.
    On peut aussi mentionner l’argument repris par Schneidermann ce matin sur rue89: Sarko fait feu de tout bois sur le tout-sécuritaire, pourquoi pas les verts sur l’anti-nucléaire? Le débat s’élève…

    Moins grave, je ne crois pas qu’on écrive “On vous l’avez bien dit”.

    Mardi, mars 15, 2011 at 14:57 | Permalink
  4. GdeC wrote:

    sans joeur les cassandre, faire débat n’est pas inutile…

    Mardi, mars 15, 2011 at 16:13 | Permalink
  5. antennerelais wrote:

    Il faudrait inventer une équation dans laquelle la probabilité infime d’accident très sérieux serait équilibrée par le caractère gravissime et incontrôlable des conséquences.
    http://tinyurl.com/65afb4p

    Mardi, mars 15, 2011 at 16:48 | Permalink
  6. Denis wrote:

    Les filières éolienne et photovoltaïque ont été sacrifiées sur l’hôtel du tout nucléaire ! Que faudra-t-il encore comme catastrophe pour que nous comprenions la nature du nucléaire ?

    Le risque zéro n’existe pas. Mais les conséquences de l’exposition à ce risque sont de nature totalement différente au risque de la rupture d’une éolienne !

    Mardi, mars 15, 2011 at 16:49 | Permalink
  7. GdeC wrote:

    @valLenain : ridicule ! tu dis aimer la modération mais tu reprends l’argument de la lampe à pétrole… renseigne toi, avant de dire des conneries plus grandes que toi. Avec un peu de réflexion, de confrontation d’idées, de débat, on peut arriver, certainement, à beaucoup mieux. Certes, on ne peut pas arrêter le nucléaire du jour au lendemain. Mais on peut anticiper sa disparition. C’est une question de survie. Si tu veux crever, c’est ton droit. Mais n’emportons pas avec nous toutes les générations futures (et peut être même nous,en cas d’accident. Ainsi… Fessenheim, construit près d’une faille sismique connue) dans cette folie industrielle majeure.

    Mardi, mars 15, 2011 at 18:00 | Permalink
  8. @Nico93 : on est d’accord.

    @Pierre : merci pour la remarque grammaticale, ça doit être ma mauvaise conscience écolo qui se rebelle, à la première phrase qui plus est … :-)

    @antennerelais : j’ai vu passer sur Facebook une classification de ce type des catastrophes, équilibrant la faible probabilité par les dégâts (contrôlables ou non) et leur durée dans le temps.

    @Denis : je ne crois pas que personne ait jamais comparé la dangerosité d’une éolienne et d’une centrale nucléaire …

    @GauchedeCombat + Vallenain: je crois qu’on peut au moins tous être d’accord sur la nécessité de trouver un équilibre entre risque et confort, et que cet équilibre ne peut être trouvé que dans la discussion démocratique, pas dans les appels paniqués à l’arrêt immédiat et total des centrales en France …

    Mercredi, mars 16, 2011 at 2:11 | Permalink
  9. Denis wrote:

    @Romain

    Je faisais un commentaire !

    Mercredi, mars 16, 2011 at 5:27 | Permalink
  10. iboux wrote:

    “il y a une forme d’exagération voire de sophisme à tirer des conclusions universelles d’un cas très particulier.” ce cas n’a rien de particulier, des centrales en France, vieillissante sont dans des zones sismiques, comme c’est le cas aux USA. La 3ème puissance économique mondiale est bien en peine de maitriser cet accident, et dans la même situation la France serait face aux mêmes difficultés ! quant à sortir du nucléaire, la france a pris du retard par rapport à d’autres pays européens en matières d’alternatives énergétiques, mais il n’est pas trop tard pour commencer une mutation, en attendant la vérification et le renforcement de la sécurité de nos centrales est bien le moins qu’on puisse faire pour les populations vivant à proximité des centrales…

    Mercredi, mars 16, 2011 at 11:28 | Permalink
  11. Emmanuel BONIN wrote:

    Vous avez raison, tâchons de discuter sereinement.
    A l’âge démocratique, la légitimité de l’action politique passe par la transparence. Assoir l’indépendance de l’autorité de sûreté est donc nécessaire, ses rapports doivent être publics et pourquoi présentées devant le Parlement (comme celles des autres autorités de sécurité ou de régulation, d’ailleurs). Lui accorder des pouvoirs coercitifs doit être envisagé ou pour le moins débattu.
    Le débat sur les énergies est vaste, mais puisqu’il est lancé, je me permettrai juste de rappeler quelque données. L’Allemagne passe de nouveau pour un pays modèle comme d’autres pays européens adeptes des énergies renouvelables (not. le Danemark). La France se devrait encore une fois de les imiter. Mais notons qu’un allemand rejette en moyenne 9,8 tonnes de CO2 par an, un Danois 10,2 tonnes, un Français 6,2 tonnes. Le Danemark est leader sur l’éolien. Ils produisent plus d’1/4 de leur électricité grâce à cette technologie, mais ça ne suffit toujours pas à remplacer les centrales thermiques.

    Jeudi, mars 17, 2011 at 11:41 | Permalink
  12. @iboux : “et dans la même situation la France serait face aux mêmes difficultés” : justement, le risque d’une telle situation (séisme historique + tsunami, ne l’oublions pas) n’est pas comparable entre le Japon et la France.

    @Emmanuel : merci pour les chiffres, beaucoup de fausses idées et de clichés dans ce débat.

    Samedi, mars 19, 2011 at 23:59 | Permalink
  13. iboux wrote:

    tu as l’air sûr de toi pour l’absence de risque de tsunami et de séisme conjugués… dans ce cas pourquoi créer un organisme de surveillance à cet effet en méditerranée en 2012 ?
    http://www.risquesmajeurs.fr/journ%C3%A9e-vigilance-et-alerte-risques-tsunami-et-submersion-marine-le-1er-juin-%C3%A0-paris
    ET
    http://www.risquesmajeurs.fr/construction-parasismique-la-france-se-dote-dune-nouvelle-carte-dal%C3%A9-sismique

    tu me fais penser au mec dans jurassic park qui pense que tout est sous contrôle :-)

    Dimanche, mars 20, 2011 at 11:54 | Permalink
  14. Ben j’espère que je vais pas finir dans la gueule d’un T-Rex :-) Plus sérieusement, je ne dis aucunement que l’on est certain que RIEN n’arrivera ; mais notre société, comme toute société humaine, fonctionne sur des probabilités et des fréquences ; il y a des risques plus probables et plus immédiats que ceux du nucléaire, je crois qu’on peut être d’accord là-dessus (même si ça n’enlève rien à la dangerosité de cette technologie).

    Vendredi, mars 25, 2011 at 15:07 | Permalink
  15. iboux wrote:

    un t-rex non mais pt’être un vélociraptor :-) ))
    il y a une seule certitude absolue : on va tous mourir, un jour ;-) ( je suis follement gaie aujourd’hui ;-)

    Vendredi, mars 25, 2011 at 15:30 | Permalink
  16. Heureusement qu’on a bonne capacité d’oubli. Parfois quand je marche sur un trottoir je me dis que je pourrais mourir connement en recevant une jardinière sur la tête, ça s’est déjà vu … et puis je passe à autre chose. Je me demande c’est quoi le plus probable, le pot de fleur sur le crâne ou l’irradiation ? ;-)

    Vendredi, mars 25, 2011 at 18:48 | Permalink
  17. iboux wrote:

    selon les probabilités scientifiques ben tu mourras soit d’une crise cardiaque ( en lisant un de mes billets ) soit d’un cancer ( provoqué par les fuites radioactives d’une de nos belles centrales ) ou, mais le taux de probabilités est plus faible, suite à ton enlèvement par des extra terestres s’ils te considèrent comme un spécimen interressant ;-)

    Vendredi, mars 25, 2011 at 21:40 | Permalink

10 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Mardi, mars 15, 2011 at 11:45

    [Variae] Enola pas très gai http://tinyurl.com/4e2d5lh

  2. richardtrois on Mardi, mars 15, 2011 at 11:48

    RT @Romain_Pigenel: [Variae] Enola pas très gai http://tinyurl.com/4e2d5lh

  3. Dada_StopLaCensure on Mardi, mars 15, 2011 at 11:50

    RT @Romain_Pigenel: [Variae] Enola pas très gai http://tinyurl.com/4e2d5lh

  4. Jean-Renaud ROY on Mardi, mars 15, 2011 at 12:11

    A lire @Romain_Pigenel recadre exactement le débat politique sur le #nucleaire en France : "Enola pas très gai" http://bit.ly/idV8qA

  5. zeyes on Mardi, mars 15, 2011 at 14:49

    A lire chez @Romain_Pigenel > Nucléaire : Accélérateur de parti acculé ? http://www.variae.com/enola-pas-tres-gai/

  6. [...] Romain Pigenel : Enola pas très gai [...]

  7. [...] est là l’indécence et nulle part ailleurs mais comme le note Romain Pigenel le poids symbolique de l’atome est trop fort au regard de vies humaines menacées dans l’instant et dans un [...]

  8. buzzistic on Jeudi, mars 17, 2011 at 3:15

    Enola pas très gai http://bit.ly/ihaBKC

  9. [...] signons la pétition d’Utopia pour que le Parti Socialiste prenne (enfin !) position sur le nucléaire et plus largement sur le modèle énergétique. Le texte réclame une convention [...]

  10. [...] arrivé là, ça peut arriver près de chez toi. Sur votre tête d’(irra)diable pèse tout le risque d’une explosion de centrale nucléaire. Vous qui vivez/travaillez/partez en vacances/passez une [...]

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