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Rentre ici, Michael Jackson

Michael Jackson s’en est allé, hier, dans la nuit des étoiles, à l’âge où d’autres envisagent seulement leur premier lifting. En fait, on n’en savait rien, de son âge. Difficile d’en attribuer un à cet être littéralement surnaturel, qui avait depuis longtemps emprunté une voie étroite le menant à un statut unique, mi-légende vivante, mi-freak pathétique. Dans son actualité, les scandales et les ragots des tabloïds avaient progressivement remplacé les disques de platine et les concerts flirtant avec l’ubris pur et simple. Mais qu’importe : il restait pour ses fans, et surtout pour tous les autres, une référence remarquablement stable, un pilier de la culture populaire du dernier quart de siècle, célébré tant par les fêtards un peu coincés qui tentent, la nuit venue, de patauds moonwalks éméchés, que par les b-boys copiant son port du bandana. La ménagère de moins de cinquante ans comme le branché pointu trouvaient leur bonheur dans sa discographie pléthorique, réalisant le grand écart entre slow sirupeux et beats énervés, odes à l’enfance et gémissements sexuels. Il était l’homme qui avait fait danser les zombies et l’héritier de Fred Astaire, l’enfant-chanteur et le père qui brandissait les bébés au-dessus du vide.

Nul n’aura mieux que lui incarné les trois décennies qui le virent accéder au rang de superstar planétaire, après son émancipation de ses frères et sœurs. Les esprits chagrins aimaient à démontrer que musicalement, chorégraphiquement, esthétiquement, il n’inventait rien, sachant surtout bien s’entourer et puiser aux sources de la culture underground. C’est sans doute vrai – mais en cela plus que tout il fut à l’image de son époque. Rarement créateur ou précurseur, toujours trendsetter, si ce n’est transmutateur, il sut donner à tout ce qu’il emprunta un impact populaire sans précédent. Ne fut-il pas en quelque sorte à l’origine du premier scandale autour de l’utilisation de samples, avec sa reprise du Soul Makossa de Manu Dibango pour son Wanna Be Startin’ Somethin’ !

Se pencher sur les grandeur et décadence du King of Pop, c’est donc revivre en accéléré et en concentré les grandes révolutions des trente dernières années. La culture de la copie, donc – sa carrière personnelle démarra vraiment en même temps que le walkman de Sony et les cassettes vierges. Les effets de mode, les gimmicks et la culture fanboy/fangirl – combien de moonwalks, de « who’s bad » et de ses fameux cris, des cours de récréation aux boîtes de nuit ? La tension entre écologie et hygiénisme, entre son « Earth Song » et le masque blanc dont il se cachait bouche et nez. Le trouble des identités sexuelles et la metrosexualité, célébrés par ses entrechats, son maquillage et les chastes étreintes auxquelles se limitaient ses rapports avec le sexe opposé dans les vidéos de ses chansons. En même temps, la sexualisation de la société et de la culture, rythmée par ses halètements et ses poses suggestives. L’ère du tout-marketing et de la MTV-way-of-life – on a aujourd’hui un peu oublié que c’est une marque de soda qui l’intronisa roi de la pop. La valeur métissage et la célébration du melting-pot, dont sa musique, surpuissant shaker mélangeant stadium rock, funk, pop, soul, disco, electro, fut la première bande-son, et son imagerie United Colors Of Benetton la toile de fond (remember Black Or White ?). La vogue name-dropping et starfucking, incarnée à l’excès par Celui qui épousa la fille du King tout court, et était capable de réunir la moitié de Hollywood dans un clip. La mondialisation, qui le suivit sur ses talons alors qu’il allait répandre la « marque USA » aux quatre coins du globe, par le biais de concerts spectaculaires dont les pays de l’ex-bloc de l’Est eurent très tôt un formidable aperçu.

L’adulescence et le refus de la vieillesse, incarnés jusqu’à l’absurde par l’homme qui fit construire un Disneyland miniature dans sa propriété. L’obsession chirurgicale de l’amélioration corporelle, sur l’autel de laquelle il sacrifia son nez, sa couleur de peau et peut-être un peu plus encore. La démesure financière et le culte de la croissance à deux chiffres, dans lesquels il tira, artiste le mieux payé de son temps, son épingle du jeu, avant d’être réduit à l’état d’esclave des majors et de ses créanciers. La tragédie de l’ultramoderne solitude sous assistance chimique, qui explique peut-être sa mort, et le renverrait alors du côté de ses prédécesseurs Elvis Presley et Marylin Monroe. Ou d’Anna Nicole Smith. L’ambivalence jusqu’au bout, entre gloire absolue et misère personnelle.

Il ne fut pas le seul symbole de ces décennies. A leur façon, d’autres popstars, Madonna, Prince, U2, d’autres encore, furent aussi les cobayes et les hérauts de l’aventure post-moderne. Mais aucun ne l’incarna dans un si radical premier degré. Ni Madonna la businesswoman calculatrice, ni Prince l’esthète psychédélique, ni U2 les rockers engagés. Bambi, cette aventure, il la vécut jusque dans sa chair, payant cash, au bout du compte, le prix christique des excès de ses contemporains.

Un Christ. Ou plutôt un monstre sacré, qui, en tant que tel, ne laisse pas de descendance musicale (et comment le pourrait-il, lui qui ne grandit jamais ?), saturant et obturant le champ des possibles artistiques de la pop de son temps. Le prochain Michael Jackson n’aura rien à voir avec Michael Jackson, de même qu’il n’y eut qu’un Elvis Presley.

Il ne pouvait y avoir de final prévisible à une telle vie. La conclusion de l’existence du gamin de Gary, Indiana, fut à la hauteur de cette exigence. Sitôt ébruitées les premières rumeurs de son décès, tout Internet s’embrasa comme un funèbre concert de millions de chiens hurlant à la mort. Sites d’information en ligne et réseaux sociaux disjonctèrent presque sous le raz-de-marée inimaginable de commentaires, de tweets et de changements de statut sur Facebook. Le premier cataclysme du web 2.0. Bambi, apparu à l’aube des consoles de jeu et des micro-ordinateurs personnels, pionnier du cinéma 3D et du morphing, révélait en s’effaçant le nouvel être social du monde, hyper-connecté et à la réactivité instantanée. La boucle, en somme, est bouclée. Qu’il repose en paix.

Romain Pigenel

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3 Comments

  1. corto74 wrote:

    Je suis arrivé là via Slate.fr. Sans aucun doute ce que j’ai lu de mieux sur MJ ces jours-ci. Thanks!
    cordialement,

    Dimanche, juin 28, 2009 at 18:33 | Permalink
  2. Levallois Sylvain wrote:

    Très bel article Romain, merci!

    Ce déferlement médiatique (gerbant au demeurant) est à la hauteur du bonheur qu’il a procuré à des millions de personnes durant sa carrière… Je retiendrai la phrase d’Herbie Hancock le concernant : “He Changed The World”…

    Mardi, juin 30, 2009 at 23:18 | Permalink
  3. Romain wrote:

    Exactement. Rien à ajouter ! Le reste est bon pour la presse à scandale.

    Mercredi, juillet 1, 2009 at 10:15 | Permalink

2 Trackbacks/Pingbacks

  1. Variae › Roland Grünberg ressuscite Michael Jackson on Mardi, octobre 6, 2009 at 18:32

    [...] mort de Michael Jackson, à la lisière de ce que beaucoup espéraient être son retour musical, avait été une sorte de choc générationnel. Dans les jours qui suivirent, j’eus l’idée de lui rendre hommage à ma manière en proposant [...]

  2. Variae › Variae a trois ans on Samedi, août 20, 2011 at 17:09

    [...] parc d’attraction pour voir des films en 3D. On attendait avec impatience le retour sur scène de Michael Jackson, ainsi que le prochain album d’Amy Winehouse. Un autre monde, la fin des années 2000, presque un [...]

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