Depuis quelques jours, je lis et entends monter un sentiment de désarroi, mêlé de consternation et d’agacement, alors que se développent les prolongations très médiatisées de l’affaire DSK. « C’est terrible, avec les péripéties judiciaires qui n’en finissent plus aux Etats-Unis, avec l’affaire Banon en France, DSK est en train de plomber le PS et la gauche. On est content pour lui qu’il voit le bout du tunnel, mais cela ne fait que relancer la confusion ici ; sans parler de ses proches qui réaniment l’espoir d’une candidature. On l’aime bien, mais maintenant ça suffit, qu’il disparaisse, et laisse la place libre pour le vrai débat de fond ! »
Il y a du vrai dans cela et bien entendu, on préférerait, et pour nous, et pour ceux qui y sont mêlés, et pour lui, se passer de ces tristes événements. Pour autant, est-il le seul responsable de la difficulté que rencontrent la gauche et le PS à se faire entendre dans cette actualité plus qu’agitée ? Je ne le pense pas.
On rappellera tout d’abord que le traumatisme aujourd’hui causé par l’absence et les déboires de DSK est directement proportionnel à la construction médiatico-politique qui avait été minutieusement opérée autour de sa candidature. Quand on assène à longueurs de semaines qu’un candidat est le seul candidat envisageable tant il écrase tous les autres de sa stature, et que la seule question posée est celle des modalités du ralliement de ces derniers à lui, il ne faut pas s’étonner d’être ensuite hanté un certain temps par son spectre. L’effet est très exactement le suivant : on nous avait promis une grive, on nous offre des merles. Difficile de changer en quelques jours ce schéma bâti des mois durant.
Mais est-ce à dire que les « merles » n’ont aucune responsabilité ? Pour prendre la place laissée vacante, encore faut-il chercher à l’occuper, et à l’occuper avec du contenu politique. C’est ici, incontestablement, que le bât blesse. Je m’inquiétais il y a déjà quelques semaines du « faux rythme » dans lequel se coulait le Parti socialiste, tous candidats confondus, sans doute sous l’effet de la tranquille certitude de la disqualification de Nicolas Sarkozy. L’entrée en campagne, depuis, de tous les principaux candidats n’a malheureusement pas changé radicalement cette donne. On retient surtout des primaires – pour le moment – une longue litanie de ralliements d’élus et de responsables, ou d’appels à rallier les uns et les autres. Cette phase n’est certes pas illégitime, mais elle ne peut se substituer à une confrontation plus politique et, surtout, à un discours vraiment adressé au pays. J’écrivais la semaine dernière comment la déclaration de candidature de Martine Aubry (que Guy Birenbaum relate avec humour) m’avait étonné par sa superficialité. Elle est à l’image, plus généralement, du débat que l’on nous offre pour le moment. Comment s’étonner, alors, que faute de merles, on se console en suivant la chronique judiciaire de la grive ?
Ce démarrage au diesel des primaires a au moins une raison dont on peut se réjouir : il n’y a pas de différences idéologiques radicales entre les trois principaux candidats restant en lice, François Hollande, Martine Aubry, et Ségolène Royal. Le Parti Socialiste est décidément moins divisé qu’il n’a cherché à se le faire croire lors de son dernier congrès. Faute de clivages nets entre eux, les candidats ont naturellement de la peine à se mesurer les uns aux autres, mais aussi à offrir un dialogue audible aux principaux intéressés des primaires ouvertes – les Français. Pour autant, le débat (et l’affrontement) n’est pas la seule figure du discours politique. Plutôt que d’instrumentaliser artificiellement des ruptures entre eux – ce qu’ils ne font pour le moment pas, fort heureusement – les candidats pourraient passer à l’offensive idéologique contre la droite.
Car que voit-on en face ? Avec une fortune variable, certes, Nicolas Sarkozy et l’UMP repassent à l’attaque. Ces derniers jours, ce sont la TVA, les 35H et le recrutement des professeurs qui ont bénéficié du « traitement » UMP. Augmenter la TVA pour augmenter les salaires, abolir les 35H, mettre un terme au recrutement par concours des enseignants … autant de propositions dont on pensera ce que l’on veut, mais qui ont l’avantage d’exister et de nourrir l’actualité. Écoutant pour la première fois depuis longtemps, ce matin, l’émission de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, le contraste était saisissant : on ne parlait du Parti socialiste que pour annoncer le soutien d’un élu présent sur l’antenne à un des candidats ; pour l’UMP en revanche, 35H et TVA étaient au programme.
On a presque l’impression, pour tout dire, que c’est l’UMP qui tient le rôle du challenger, et le PS celui du sortant. Ce n’est pas tout à fait faux, vu les abîmes d’impopularité d’où tente de s’extirper Nicolas Sarkozy. Mais rien ne serait pire que de laisser insidieusement s’installer l’idée que le mouvement se situe à droite, et le conservatisme ou la défense du statu quo à gauche.
Il y a donc urgence, pour les candidats : trouver les quelques axes et propositions, clairs et compréhensibles, permettant d’ouvrir la bataille avec la droite, de faire débat dans le pays, de focaliser l’attention des Français, comme nous y étions partiellement parvenus en 2006. Pour que les merles se changent définitivement en grives à leurs yeux.
Romain Pigenel
13 Comments
Il y a un candidat qui se distingue dans ce flot de banalités…Arnaud !
Une seule solution pour toi Romain: arrêter d’écouter Jean-Marc Bourdin ! Plus sérieusement, je partage à la fois ton analyse sur la responsabilité partagée au sujet des remous provoqués par l’affaire DSK, et ton sentiment sur le flottement actuel de la campagne des primaires. je complèterai peut-être: le diésel dans l’histoire, c’est Martine Aubry, qui a toujours démarré lentement; les raliements, c’est Hollande, qui ne trouve malheureusement pas d’autre moyen à l’heure actuelle de se donner de l’oxygène. En revanche, je ne suis pas si pessimiste: à tout prendre, je préfère cette situation d’attente créée pour la rentrée, plutôt que la risée générale que nous avons déjà subie par le passé. Non ?
Entièrement d’accord avec le billet.
Il est assez risible d’entendre les copains se plaindre qu’on parle trop de DSK. J’ai même eu droit aux propos acides d’un éminent confrère blogueur me reprochant sur Twitter d’avoir pour objectif d’abattre DSK (excusez du peu !) et de faire le jeu de Nicolas Sarkozy. Comme si, finalement, j’étais comptable des mésaventures judiciaires de DSK et du boomerang que les médias se sont pris en pleine tronche ces dernières semaines.
Pendant des mois, il était saugrenu de critiquer l’homme providentiel, d’en relever les contradictions ou encore les connivences troublantes avec le président Sarkozy (qui l’a soutenu pour le FMI). Il fallait s’incliner devant la toute-puissance de sa candidature espérée. Aujourd’hui, il faudrait se taire et pratiquer la loi du silence en cas d’abandon des charges. Dans un cas comme dans l’autre, il faudrait ne pas toucher au « saint homme », à la statut du commandeur ; il faudrait écouter dévotement les délires complotistes de Michèle Sabban et de quelques autres « strauss-kihstes » nationaux à la dérive.
Innocenté ou pas, cette affaire empoisonnera de toute façon les primaires. Il suffit de voir l’attitude des médias qui ont bien compris que cette affaire était pour eux économiquement intéressante.
C’est donc d’abord aux candidats à l’investiture socialiste de ne pas se prêter au jeu des médias et d’avancer uniquement sur le terrain des idées et du projet pour 2012 en fonction de leurs sensibilités propres. Or, la plupart de ces candidats – je pense particulièrement ici à Aubry et Hollande – ne nous offre que le triste spectacle des jeux d’alliance et des ralliements qui, au gré des développements de l’affaire DSK, se font et défont. Je mentionne également l’inénarrable Valls qui, depuis quelques semaines, ne sait plus vraiment où il habite tant il a peur de se tromper et d’hypothéquer sa carrière politique (un coup il y va, un autre coup il n’y va pas, puis il y va de nouveau tout en hésitant de peur qu’un extraordinaire retour de situation ne se produise en faveur de DSK).
Je ne voudrais pas être trop contrariante mais – foin de grives et de merles – il ne se passera absolument rien que le gros des électeurs ne sera en mesure de retenir, tant que les idées ne seront pas défendues par les candidats officiellement désignés pour la présidentielle, et tant que la campagne ne sera pas ouverte.
Jusque là le gouvernement continuera de gouverner, tandis que la noria des candidats socialistes feront splash-splash dans la bassine du programme du PS, au gré de l’humeur du moment et aussi au gré de ce qu’ils croient deviner des désirs du public auquel ils auront à s’adresser, comme monsieur Hollande vient de le faire brillamment à la Martinique.
S’il est vrai que le ‘contenu politique’ manque, lamentablement, chez les candidats du PS qui restent debout, il est toujours plus vrai que la triste affaire de DSK proclame son ‘continu politique’ à haute voix: 1) le PS, petit club de riches machistes; 2) femmes noires, appauvries,immigrées, elles ne sont là que pour s’en servir; 3) Morale citoyenne? Catégorie vide. 4) Valeurs socialistes? Tu blagues … Et soyons clair: ce n’est pas le fait divers DSKien qui dissémine ce message (si on pardonne la métaphore), mais les tentatives désespérées–même sur ce blog–de sauvetage de cet homme corrompu. Quand les lumières du PS apprendront à respecter le peuple, même les plus démunis, ils auront reconquis le droit de gouverner–mais pas avant.
“il n’y a pas de différences idéologiques radicales entre les trois principaux candidats restant en lice, François Hollande, Martine Aubry, et Ségolène Royal.”
Tout à fait : ce sont là, si mon souvenir est bon, les trois leaders du “club Témoin” / “transcourants”, autrement dit les “delorsiens”, qui n’ont jamais pesé que 5% du PS dans leurs meilleurs jours.
Pas étonnant que le courant passe difficilement avec la masse des élus et des adhérents.
surtout que pendant le temps où le PS se gratte la nouille et où la moitié du parti critique les positions de l’autre (Valls sur la retraite à 60 ans par exemple), il se prépare une sacrée régression en matière de “gouvernance”.
http://www.lalettrevolee.net/article-la-dictature-europeenne-s-organise-pour-sauver-l-euro-78688756.html
le terme dictature est à peine survendeur…
Il n’y a pas de contenu, car ils veulent ratissr large, donc on ne se prononce sur rien, la dete on ferait peur aux gens de droite qui admettent qu’on sere la vis, l’islam l’immigration pas trop en parler car il y a des électeurs mais on parle côté sécurité parce qu’on ratisse à droite et l’écologie pas trop car les écolos certains ne les aiment guère ainsi de suite et les retraites, là on est bon on reviendra dessus, promesses, promesses…..
Bonjour,
Ils ont oublié la république il y a bien longtemps et c’est cela leur-notre problème.
“Des esclaves travaillant pour vendre à des chômeurs” on a la mondialisation et les notes des préteurs, bonjour l’ambiance.
DSK était une autre arnaque, Aubry sa suppléante quand à Hollande un tiède.
Re-bonjour.
@Alain : et pourtant, et j’en parlais encore l’autre jour avec un autre de ses soutiens, je ne trouve pas qu’il “imprime” plus que ça chez les sympathisants. Je pense que la démondialisation est un slogan trop abstrait, il aurait dû mettre en avant des applications plus concrètes
@Emmanuel :
“je préfère cette situation d’attente créée pour la rentrée”
Mais justement, l’envie, elle se suscite … et là on n’en prend pas le chemin.
@Gabale :
“J’ai même eu droit aux propos acides d’un éminent confrère blogueur me reprochant sur Twitter d’avoir pour objectif d’abattre DSK ”
Ne te sous-estime pas, tu as ta LARGE part dans la chute de cet estimé camarade
@Marianne :
“il ne se passera absolument rien que le gros des électeurs ne sera en mesure de retenir, tant que les idées ne seront pas défendues par les candidats officiellement désignés pour la présidentielle”
Je pense globalement la même chose et c’est pour cela que maintiens depuis le début que les primaires auraient dû finir, et non commencé, en juin.
@FrédericLN :
“Tout à fait : ce sont là, si mon souvenir est bon, les trois leaders du “club Témoin” / “transcourants”, autrement dit les “delorsiens”, qui n’ont jamais pesé que 5% du PS dans leurs meilleurs jours.”
Ils en viennent, oui, mais ce sont aussi des enfants de Mitterrand.
@Edgar : oui, ça craint …
@Gérard : pas mal l’histoire des esclaves et des chômeurs … hélas !
“(je) maintiens depuis le début que les primaires auraient dû finir et non commencer en juin”
Je me demande si vous n’avez pas mis le doigt sur un péché mignon des socialistes : l’excès de confiance en soi.
Car il faut en avoir de l’assurance – après tant d’années d’opposition systématique, après une primaire où les dissensions entre les candidats apparaîtront au grand jour – pour penser pouvoir gagner une présidentielle après une campagne courte.
@Marianne :
“Car il faut en avoir de l’assurance – après tant d’années d’opposition systématique, après une primaire où les dissensions entre les candidats apparaîtront au grand jour – pour penser pouvoir gagner une présidentielle après une campagne courte.”
Hélas, oui.
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#DSK, les grives et les merles http://tinyurl.com/3cu4xam ☚ billet très intelligent. A lire chez @Romain_Pigenel [Variae]
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ça faisait longtmps que je n'ai pas été ok avec Romain RT @Romain_Pigenel: DSK, les grives et les merles #variae http://t.co/iwick3j
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