Skip to content

Retraites : pour une votation citoyenne

Parfois les bons mots dépassent l’intention de leur auteur. C’est que je me disais en entendant Harlem Désir, en début de semaine, expliquer que François Fillon, qui se rêvait en Churchill en s’adressant à la nation, n’était en réalité qu’au niveau de Margaret Thatcher. La comparaison sous-entendue portait, manifestement, sur le décalage entre un grand homme d’Etat et une Première ministre réputée avoir brutalement libéralisé la Grande-Bretagne, aux dépens de ses concitoyens les plus fragiles. Mais elle pouvait également s’interpréter comme un présage plus sombre. Margaret Thatcher, c’est aussi la briseuse des grèves et du syndicalisme britannique. Et on sent bien, dans le moment présent, que quelque chose de semblable se joue dans notre pays, avec un Président et un gouvernement dont la ligne dure ne tient pas du bluff, mais bien de la volonté de réussir une épreuve de force avec le pays, quel qu’en soit le coût humain et social.

C’est un bras de fer qui est engagé sur les retraites, mais un bras de fer aux allures de course contre la montre. Le pari fait par le gouvernement sur le temps est double : d’une part, miser sur une désunion du mouvement social, et sur le fait que seuls les plus radicaux sont prêts à s’engager dans un mouvement long ; d’autre part, espérer que le vote de la réforme, une fois complètement entériné, ôte dans l’opinion à la fois toute utilité et toute légitimité à la protestation.

Jusqu’à présent, le premier pari a été étonnamment perdu. Le front syndical et politique résiste, malgré les rumeurs propagées notamment par Le Figaro ces derniers jours. En revanche, il est certain que le vote définitif de la réforme sera plus problématique pour le mouvement. Un scénario à la CPE – vote, puis neutralisation de la loi sous le seul effet des manifestations persistantes – n’est pas tellement probable, pour la simple et bonne raison que Nicolas Sarkozy n’est pas Jacques Chirac, et qu’il a déjà amplement démontré que le souci de la cohésion nationale ne prime absolument pas, chez lui, les intérêts personnels et électoralistes. Il faut donc imaginer d’autres façons de continuer la mobilisation, pas nécessairement en substitution, mais en complément et en renforcement des manifestations.

La gauche politique et syndicale a justement mis en place, avec succès, un type de mobilisation original l’an dernier : la votation citoyenne sur la privatisation de la poste. On se souvient comment l’initiative avait été un succès – près de 10 000 lieux de vote en France, cogérés par les différentes organisations, et peut-être 2 millions de votants – alors même que l’expérience était inédite, et visait un sujet certes prégnant pour nombre de Français, mais incontestablement moins que ne le sont les retraites. Bien entendu, le résultat d’un tel vote n’a pas de valeur juridique, et ne remplace pas le vrai référendum que réclament plusieurs responsables politiques et syndicaux, mais il contribue à maintenir la pression sur un gouvernement légiférant contre la volonté générale, et présenterait en outre plusieurs avantages dans la situation présente.

Premièrement, il permettrait de prouver l’ampleur de la désapprobation populaire pour l’actuel projet de réforme. Les sondages se suivent et se ressemblent : Nicolas Sarkozy et François Fillon ne réunissent pas une majorité de Français derrière leur plan, bien au contraire. Mais le gouvernement a beau jeu de soutenir que les manifestants, aussi nombreux soient-ils, ne représentent qu’une minorité agissante et radicalisée, et que la majorité silencieuse qui ne sort pas dans la rue soutient le projet UMP. Une votation citoyenne, a contrario, permettrait de traduire concrètement ce qu’indiquent les sondages, et donnerait l’occasion à tous les Français qui sont opposés à la réforme – mais ne peuvent ou ne veulent faire grève et manifester – d’exprimer leur position simplement et rapidement.

Deuxièmement, l’organisation d’une grande votation donnerait l’occasion d’inverser la tendance actuelle, encouragée par le gouvernement et la presse de droite – la tendance qui va dans le sens d’une radicalisation du mouvement et surtout de l’image du mouvement, sur fond de casse (parfois douteuse) et de blocages. Alors que la phraséologie officielle se délecte désormais quotidiennement de la condamnation des « casseurs » et de la « prise en otage » des honnêtes citoyens, l’organisation du scrutin populaire que refuse le pouvoir permettrait de montrer clairement qui est responsable et respectueux de la démocratie, et qui ne l’est pas. Les forces mobilisées actuellement sur les seuls lieux occupés, et trajets de manifestation, pourraient s’installer et se montrer sur l’ensemble de l’espace public, invitant la population à se prononcer, et faisant parallèlement de la pédagogie sur la réforme gouvernementale et ses conséquences réelles.

Troisièmement, on pourrait alors opposer un vote à un autre vote, et non des manifestations à un vote. La position du gouvernement est enviable : elle est celle de la légitimité institutionnelle et formelle, face à une opposition qui manifeste et perturbe la bonne marche du pays. Sur le long terme, l’opinion préfère l’ordre, fût-il injuste, à la chienlit – c’est le calcul de l’Elysée. Avec l’organisation d’une votation, on revient sur le terrain de l’expression citoyenne et républicaine, d’autant plus légitime que la majorité fait tout pour saboter le débat parlementaire, à l’Assemblée déjà et désormais au Sénat.

Une votation citoyenne sur les retraites ne suffira, à elle seule, ni à faire fléchir le gouvernement, ni à imposer un référendum en bonne et due forme ; mais elle peut constituer un puissant adjuvant à la forme prise actuellement par le mouvement social, lui offrir un second souffle, et surtout donner une nouvelle ampleur, et une nouvelle visibilité, à la mobilisation des Français contre cette réforme qu’ils rejettent majoritairement. L’opposition politique et syndicale a à l’heure actuelle toutes les cartes en mains pour faire d’une telle initiative un succès : les effectifs militants, les sondages favorables, et le contre-exemple du passage en force parlementaire du gouvernement. Qu’attend-on pour couvrir le territoire de bureaux de vote, et poser aux citoyens une question très simple : êtes-vous satisfaits de la réforme des retraites, ou souhaitez-vous qu’elle soit remise à plat et soumise à une vraie négociation avec les partenaires sociaux ?

Romain Pigenel

A lire aussi :

5 Comments

  1. J’ai le droit de trouver cette proposition démagogique et irréaliste ou je passe pour un salaud ? Bon il faut reconnaître aussi que j’ai toujours eu du mal avec tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de la démocratie directe. Ça joue sûrement.

    Vendredi, octobre 22, 2010 at 16:23 | Permalink
  2. Flora Noel wrote:

    Une votation citoyenne me semble en effet une bonne idée pour montrer l’ampleur du désaccord des Français, quelles que soient la réaction du gouvernement. Qui peut décider l’organisation d’une votation ?

    Lundi, octobre 25, 2010 at 5:13 | Permalink
  3. @Fabien : irréaliste, peut-être en termes de résultats escomptés ? Démagogique, tout dépend du poids que l’on accorde à la démocratie représentative … Je dirais qu’elle a tellement était malmenée depuis quelques années que l’on peut au moins interroger sa prétention à être à elle seule TOUTE la démocratie.
    @Flora : si on prend l’exemple de la seule votation organisée en France, elle l’avait été par l’ensemble des syndicats et partis réunis en comité de défense de la poste. Peut-être dans le cas présent une pétition ou un groupe Facebook pourraient être lancée par “la base” pour faire remonter l’idée ? J’y ai pensé …

    Lundi, octobre 25, 2010 at 23:33 | Permalink
  4. Emmanuel wrote:

    Je partage totalement l’idée, d’autant plus que la formule des votations en France, initiée pars les assos (ldh…) sur le droit de vote des résidents non communautaires pour les élections locales, a largement fait ses preuves.
    Cependant il faut mesurer le pb du timing et du débouché politique: une fois la loi promulguée (et comme tu le dis, nul doute que Sarkozy ne reculera pas) quelles perspectives donner ? Quelle réponse apporter à la question qui nous sera poser un peu partout, y compris par ceux qui auront nanifesté?
    Cela dit, rien n’interdit d’essayer, et cela aurait au moins le mérite en donnant un second souffle au mouvement social qui aura été une grand réussite en termes de mobilisation, de limiter la frustration qui pourrait gagner…

    Dimanche, octobre 31, 2010 at 6:16 | Permalink
  5. Objection votre honneur !

    Oups des réflexes de mes études de droit et surtout des séries américaines en fait qui ressurgissent. Les défauts de la démocratie représentative ne justifient en rien qu’on la remplace par une pseudo démocratie directe qui ne conduit qu’à une chose le populisme. Je ne veux sûrement pas dire que le résultat me déplairait. Vu comment ça se dessine sûrement pas. Mais le problème n’est pas la fin mais le moyen. Ce résultat ne représentera rien et ne signifiera rien.

    La solution n’existe que dans la démocratie représentative et elle seule. Si on n’avait pas un parlement godillot, certainement que ce serait autrement. Mais même je préfère que le parlement prenne une mauvaise décision mais que cela soit fait selon une procédure républicaine qu’une bonne décision totalement infondée. C’est mon côté légitimiste ça.

    Dimanche, octobre 31, 2010 at 17:47 | Permalink

13 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Vendredi, octobre 22, 2010 at 13:58

    Variae / Pour une votation citoyenne sur les #retraites http://tinyurl.com/33ork93

  2. pourquoi pas on Vendredi, octobre 22, 2010 at 13:59

    RT @Romain_Pigenel: Variae / Pour une votation citoyenne sur les #retraites http://tinyurl.com/33ork93

  3. Margot on Vendredi, octobre 22, 2010 at 14:00

    RT @Romain_Pigenel Variae / Pour une votation citoyenne sur les #retraites http://tinyurl.com/33ork93

  4. Valérie de Saint-Do on Vendredi, octobre 22, 2010 at 14:00

    RT @Romain_Pigenel: Variae / Pour une votation citoyenne sur les #retraites http://tinyurl.com/33ork93

  5. Vogelsong on Vendredi, octobre 22, 2010 at 14:30

    A lire pour sortir par le haut RT @Romain_Pigenel Variae / Pour une votation citoyenne sur les #retraites http://tinyurl.com/33ork93

  6. Romain Pigenel on Vendredi, octobre 22, 2010 at 15:57

    [Variae] Retraites : pour une votation citoyenne http://tinyurl.com/234mjgn

  7. Fabien on Vendredi, octobre 22, 2010 at 21:48

    #retraites: pour une votation citoyenne, par @Romain_Pigenel http://bit.ly/9hXm3b

  8. Retraite : Déni de démocratie | Zebres on Samedi, octobre 23, 2010 at 12:24

    [...] Réclamons un referendum, seul moyen de donner à cette réforme une dimension démocratique. A défaut, organisons une votation. [...]

  9. Melclalex on Samedi, octobre 23, 2010 at 14:58

    Variae – Retraites : pour une votation citoyenne http://bit.ly/dm1GnF

  10. [...] Sur la distinction entre information et propagande d’abord. On peut me semble-t-il distinguer entre plusieurs cas de figure. D’un côté, les campagnes relevant strictement de l’information d’intérêt public, notamment de mise en garde ou de promotion de bonnes pratiques dans le domaine de la santé. Elles ne désignent pas spécifiquement des mesures ou des programmes initiés par le gouvernement. A l’autre extrême, on trouve les campagnes électorales au plan strict, et affirmées comme telles. Entre les deux s’étend la zone grise de la communication sur les initiatives et réalisations gouvernementales, couvrant un large spectre, de l’information factuelle – catégorie dans laquelle semble se ranger la campagne francilienne sur les transports – à des présentations beaucoup plus construites voire biaisées, comme la campagne nationale sur le pouvoir d’achat lancée par Fillon et Sarkozy en 2008. Dans cette opération, on mettait en avant un concept orienté – le pouvoir d’achat – qui faisait directement écho à la campagne de Sarkozy en 2007 (« travailler plus pour gagner plus », la valorisation du consumérisme, etc.), et on dépassait donc la stricte démonstration du respect des engagements électoraux, pour aller sur le terrain du martèlement d’un slogan et d’un montage idéologique. Dans cette catégorie aussi peut être rangée la récente campagne sur le plan gouvernemental de « sauvetage » des retraites, sur fond de dramatisation (« nous devons sauver nos retraites ») et d’informations floues (« le gouvernement proposera des solutions », « les règles changeront au fur et à mesure et non pas du jour au lendemain », « un effort supplémentaire sera demandé aux hauts revenus »), voire de promesses n’engageant que ceux qui y croient (« ne pas baisser les retraites […] demain »). Il est évident, dans ce cas, que le but n’est pas tant de délivrer une information précise sur le cœur de la réforme réelle, que de calmer des inquiétudes et le mécontentement perçus dans le pays. [...]

  11. [...] à expliquer, et simplicité des messages politiques à faire passer. Souvenons-nous du débat sur les retraites à l’automne dernier : sur ce sujet déjà ardu (âge légal, nombre d’annuités …), le [...]

  12. Variae › Les mots de la politique (14) : la carrure on Samedi, octobre 22, 2011 at 22:04

    [...] ne céderai rien, jusqu’à être balayé, je ne céderai pas devant les manifestants des retraites, je maintiendrai mon obsession sur l’identité nationale, je n’en ferai qu’à ma [...]

  13. Retraites by vogelsong - Pearltrees on Samedi, janvier 7, 2012 at 20:55

    [...] Retraites : pour une votation citoyenne C’est un bras de fer qui est engagé sur les retraites, mais un bras de fer aux allures de course contre la montre. Le pari fait par le gouvernement sur le temps est double : d’une part, miser sur une désunion du mouvement social, et sur le fait que seuls les plus radicaux sont prêts à s’engager dans un mouvement long ; d’autre part, espérer que le vote de la réforme, une fois complètement entériné, ôte dans l’opinion à la fois toute utilité et toute légitimité à la protestation. Jusqu’à présent, le premier pari a été étonnamment perdu. [...]

Post a Comment

Your email is never published nor shared. Required fields are marked *
*
*