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Tapie dans l’ombre, l’insécurité

Depuis la victoire des régionales, la gauche nourrit de légitimes espoirs pour 2012. Plusieurs éléments concourent à dessiner un avenir sombre pour Nicolas Sarkozy, et en premier lieu la situation économique. Les deux prochaines années peuvent constituer un long chemin de croix pour l’Elysée et Matignon. A deux conditions : que le président ne parvienne pas à rétablir son autorité, justement, sur les plans économique et social ; ensuite, que le débat de 2012 se situe bien sur ce terrain, et pas sur un autre. Là est tout le problème.

Depuis quelques semaines, un bruit se développe insidieusement dans les médias, et en particulier dans les médias participatifs, moins sujets aux filtres rédactionnels et politiques des grands journaux. C’est celui de la sécurité et de la violence, couple infernal de 2002 et de 2007. Caillassage, viol, agression, trafics … une litanie qui tend à s’accélérer et à se banaliser – ce qui ne veut pas dire qu’elle soit considérée distraitement par « l’opinion ». Il n’y a qu’à voir combien les articles relatant des épisodes de ce type figurent en bonne place dans les classements des billets les plus lus et les plus commentés, dans la presse en ligne. Chaque fait-divers contribue à accroître le sentiment d’un monde menaçant, avec comme épicentre de la violence les banlieues. La thématique n’est pas neuve. Mais elle prend désormais un tour nouveau dont est très emblématique le fait-divers grenoblois de cette semaine : alors que la violence avait longtemps été contenue dans les périphéries urbaines, elle « descend » désormais dans la ville. Ce qui change radicalement l’équilibre tacitement approuvé jusque là par la société française, avec d’un côté des centres-villes propres et calmes, et de l’autre des cités-ghettos agissant comme des poches de concentration de la misère et de ses conséquences.

On peut poser la question de la réalité objective de cette montée de la violence, faire des distinguos subtils entre l’insécurité « réelle » et le « sentiment d’insécurité », etc. Mais tout cela importe finalement peu. D’une part, si (et cela finira fatalement par arriver) les « grands » médias se saisissent de ces questions, ils en feront de facto des problèmes centraux dans le débat public. D’autre part, il est incontestable qu’un nombre considérable de Français sont exposés à cette violence – en première ligne, les habitants des quartiers populaires – et en sont de plus en plus exaspérés, ne serait-ce que parce qu’ils sont au bout du compte assimilés aux faits d’une minorité, qui contribue à la discrimination d’ensemble de toute une population. Les propos récents d’Eric Zemmour en sont un exemple parmi d’autres.

Il suffirait que la violence revienne sur la couverture des journaux pour que la donne politique change du tout au tout. L’étincelle prendrait d’autant mieux que l’opinion aurait été préparée, des mois durant, par ce flux continu de faits divers dont je parlais plus haut. Sans compter que la détérioration de la présence publique dans les quartiers (disparition des services publics, affaiblissement du financement des associations de proximité …) va mécaniquement affaiblir un peu plus encore le tissu social dans les prochains mois.

Nicolas Sarkozy a eu et peut reconstruire une image de « premier flic de France », fondée sur son volontarisme et son art du coup de menton, qui seraient assurément plus convaincants dans ce domaine que pour la régulation de la finance mondiale. En face, la gauche, et les favoris actuels pour la candidature présidentielle, semblent moins à l’aise sur cette thématique. Si les problématiques économiques sont un point fort de DSK, si Martine Aubry peut se prévaloir d’une certaine crédibilité sur les questions sociales, ni l’un ni l’autre ne bénéficient pour l’heure d’une vraie légitimité sur les questions de sécurité. Plus largement, on sait l’ensemble du PS et de la gauche en délicatesse sur ce sujet. A part les travaux de quelques pionniers comme Julien Dray et leur reprise par Ségolène Royal dans sa campagne de 2006-2007, les socialistes s’engluent encore trop souvent dans une posture réactive et défensive, mettant en avant les déterminants économiques et sociaux – incontestables – de la violence, sans élaborer des réponses concrètes et directes à l’exaspération générale.

Ce type d’attitude prête le flanc à des ripostes faciles de la droite. Un numéro récent du magazine C dans l’air, opposant Bruno Beschizza et Xavier Raufer à l’écolo-communiste Stéphane Gatignon, en a donné une inquiétante et caricaturale illustration, avec le maire de Sevran plaidant la dépénalisation des stupéfiants pour mettre un frein à l’économie souterraine et donc à l’insécurité (!), pendant que ses contradicteurs réfutaient chiffres à l’appui le lien entre pauvreté et violence, et minimisaient les problèmes matériels de la police en les replaçant dans un contexte d’ensemble de trop grande mansuétude envers les voyous  …

Si l’on parle du seul parti socialiste, l’équation est paradoxale. D’un côté, ses élus locaux expérimentent avec succès des politiques de lutte contre la violence sans angélisme ni idéologie, pendant que le gouvernement UMP diminue les moyens de la police. De l’autre, la grande majorité de ses représentants nationaux continuent de nourrir un complexe d’infériorité sur cette thématique, les conduisant à fuir le débat plutôt qu’à l’affronter (et à probablement le gagner), comme cela a déjà été le cas pour l’identité nationale. Combien de fois entend-on encore, dans les cénacles socialistes, qu’aller débattre sur la sécurité, c’est rendre les armes à la droite ? Rien de plus facile pour l’UMP, alors, d’occuper l’espace médiatique et de déclarer, avec des accents bushistes, « une guerre à l’insécurité » qui se paie surtout de mots ! Et c’est ainsi que la vérité du terrain s’inverse sur la scène nationale.

On dit que quand l’histoire se répète, c’est sous la forme d’une farce. Pour éviter d’en être le dindon, la gauche doit sans perdre de temps mettre à son agenda la constitution d’un grand plan de lutte contre la violence, et de reconquête des quartiers qui ont progressivement été abandonnés par l’Etat. En commençant par élaborer un bilan des 8 années de Nicolas Sarkozy – puisque cela fait bien 8 ans, en tant que Ministre de l’Intérieur puis que Président de la République, qu’il a tout pouvoir sur la politique de sécurité. Puis repenser un projet complet, prenant le contre-pied de l’esbroufe UMPiste façon « Droit de savoir », avec charges de CRS et descentes de la BAC au petit matin. Retour à la police de proximité, déploiement de police financière et d’investigation pour démonter les trafics, détection et prévention précoces de la violence, lutte contre la déscolarisation, développement de la mixité sociale en imposant des quotas de logements sociaux dans les centres urbains … Autant de priorités budgétaires et politiques qui doivent être affirmées comme telles. Comme le savent les spécialistes des ZEP, l’échec de 20 ans de politiques de la ville menées dans les quartiers « sensibles » a pour principale raison les moyens alloués, insuffisants, et l’attentisme face à la ghettoïsation. En 2012 il faudra, comme le disait hier Malek Boutih sur France 2, « mettre le paquet » sur ces objectifs, pour éviter de payer ultérieurement une addition encore plus salée.

Romain Pigenel



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4 Comments

  1. A mon sens il ne faut pas craindre le développement de l’argument sécuritaire par la droite.
    Non pas que le PS sorte miraculeusement une solution locale/globale inédite au problèmes bien réels des “quartiers”, mais tout simplement parceque l’accélération de la crise en 2012 (échéances des prêts toxiques sur l’immobilier de bureau aux US) va précipiter l’économie mondiale dans une dépression historique. C’est donc bien cet aspect qui sera la priorité absolue et le soucis majeur des électeurs.
    Je ne pense pas non plus que DSK apparaisse comme le sauveur suprème dans cette affaire, car il suffit de voir les solutions qu’il préconnise au sein du FMI pour tenter de régler les questions de dettes majeures des Etats pour se couper définitivement des électeurs de gauche (réductions de salaires, licenciement de fonctionnaires, diminution drastiques des retraites, des prestations sociales…ect)

    Samedi, avril 17, 2010 at 10:58 | Permalink
  2. Romain wrote:

    Mais cette accélération de la crise, si elle débouche sur des troubles sociaux graves, peut aussi déboucher sur une demande d’ordre … On en reviendrait donc au même point. D’accord avec toi sur DSK.

    Samedi, avril 17, 2010 at 11:22 | Permalink
  3. David C. wrote:

    Dans le débat actuel autour de la violence en banlieue, lors de la campagne pour la Présidentielle de 2007 Jacques Cheminade avait donné quelques pistes de réflexion autour déun vrai projet de désenclavement de la banlieue, le Plan Jaures :

    – arrêter toute mesure provocatrice du type de celles proposées par MM. Sarkozy, Villepin et de Villiers, comme expulser les étrangers en situation régulière arrêtés lors des émeutes ou orienter des jeunes de 14 ans vers l’apprentissage, en cassant toute perspective de promotion sociale réelle ;

    - redéployer réellement une police de proximité, rétablissant l’ordre et rendant l’espace public aux jeunes, et tisser un réseau de médiateurs sociaux grâce à des emplois jeunes, pour éviter d’avoir recours à des CRS ou à des brigades de gendarmerie inexpérimentées ;

    - redonner, bien au-delà de ce que prétend faire M. de Villepin, de réels moyens aux associations (par exemple, les crédits du Fonds d’intervention pour la ville et ses subventions aux associations ont diminué de 40 % entre 2004 et 2005) et aux boursiers ;

    - multiplier les cours d’alphabétisation et de soutien scolaire, au besoin par la mobilisation de retraités bénévoles et prévoir le suivi cas par cas de chaque élève par une équipe pédagogique, avec des classes de quinze à vingt-cinq élèves maximum ;

    - prévoir dans chaque collège une assistante maternelle et sociale aidant et motivant les enfants et leurs parents. Les soins de dentisterie et de lunetterie doivent être enfin remboursés : il ne s’agit pas ici de rentabilité financière, mais de simple dignité humaine ;

    - la mise en place systématique d’écoles de la deuxième chance, fournissant à la fois une formation générale et une formation professionnelle. Or il n’y en a que huit aujourd’hui et l’Etat ne les finance pas ; il faut le faire sans délai, en les multipliant ;

    - créer dans chaque quartier une « maison du citoyen » regroupant dans des conditions de proximité tous les services administratifs aujourd’hui trop dispersés ou installés en dehors de la cité (CAF, services judiciaires, services de police, services d’accueil et de renseignement, interprétariat, cours pour adultes, activités d’animation) ;

    - stopper une politique d’imposition et de contributions sociales qui favorise les riches au détriment des pauvres et des classes moyennes ;

    - interdire les jeux de hasard destructeurs, de type Rapido, Point-courses et vidéopokers dans les bars, et réglementer plus sévèrement les jeux vidéo violents ;

    - assurer un service d’eau potable à bas prix (le prix de l’eau a augmenté de 38 % en dix ans !), en rétablissant les régies communales et inter-communales ;

    - donner à tous un logement digne de ce nom, pas une cage à lapins, et imposer aux communes (241 communes, Neuilly en tête) qui ne respectent pas les 20 % social des amendes de 1000 euros (et non 150) par logement manquant, affectés à la construction de logements sociaux ;

    -offrir un avenir chez eux aux travailleurs africains. Notre première tâche doit être de faire de l’Afrique un nouvel Eldorado. Notre premier devoir est d’arrêter le pillage d’une caste dirigeante maintenue au pouvoir par les colonisateurs financiers. Alors l’émigration pourra devenir un choix, et non une fatalité sociale. Les terribles images de Ceuta et de Melilla ont contribué à enflammer nos banlieues ; la seule solution pour empêcher qu’elles se reproduisent est de développer l’Afrique ;

    lire la suite : http://david.cabas.over-blog.fr/article-faire-face-a-la-violence-sociale-48982827.html

    Le blog de David C.
    david.cabas.over-blog.fr

    Mardi, avril 20, 2010 at 23:27 | Permalink
  4. Romain wrote:

    @David C : ces propositions sont intéressantes, sauf celle sur les jeux vidéos qui est une tarte à la crème moraliste et à courte vue !

    Mercredi, avril 28, 2010 at 1:04 | Permalink

5 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Vendredi, avril 16, 2010 at 16:06

    2012 aura-t-elle des allures de Sarkocop 2 ? http://tinyurl.com/y2ckfr2 #2012 #sarkozy #violence

  2. betapolitique.fr on Mardi, avril 20, 2010 at 5:03

    Tapie dans l'ombre, l'insécurité: Depuis la victoire des régionales, la gauche nourrit de légitimes espoirs pour 2… http://bit.ly/9bjgiS

  3. betapolitique.fr on Mardi, avril 20, 2010 at 5:03

    Tapie dans l'ombre, l'insécurité: Depuis la victoire des régionales, la gauche nourrit de légitimes espoirs pour 2… http://bit.ly/9bjgiS

  4. luxembourg news on Mardi, avril 20, 2010 at 5:35

    RT Tapie dans l'ombre, l'insécurité http://bit.ly/9bjgiS

  5. [...] que pourrait faire le PS sur l’insécurité ShareL’offensive sécuritaire menée par Nicolas Sarkozy ne laisse pas beaucoup de doute, la campagne du second mandat a déjà [...]

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