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Zemmour, avocat incompris des statistiques ethniques

Alors que « l’affaire Zemmour » n’en finit plus de rebondir, entre ramifications juridiques et dommages collatéraux, il y a un silence – et même parfois une hostilité patente à l’égard du trublion télévisuel – que je ne m’explique pas : celui des défenseurs de la statistique ethnique.

Serpent de mer dans le débat français sur l’intégration et la lutte contre les discriminations au faciès, les statiques ethniques devraient permettre, selon leurs défenseurs, d’accroitre considérablement la (re)connaissance des inégalités réellement vécues par les Français à la peau pas assez blanche. Savoir, par exemple, combien de Noirs travaillent dans tel secteur avec tel niveau de formation initiale, comparer avec le nombre de Blancs, et pouvoir ensuite conclure à une discrimination de x % au détriment des premiers. Mais ce projet ne s’est pas encore imposé dans la société française, décidément très rétive (Probablement par archaïsme ? Ah l’exception nationale !) à se compter en Noirs, Arabes, Blancs, métis, un tiers un tiers un tiers, et toutes autres couleurs et combinaisons envisageables.

On pourrait donc croire les nobles chevaliers de cette forme de comptage racial heureux de gagner un tribun particulièrement médiatique à leur cause. Car ce qu’a expliqué Eric Zemmour, et qui lui vaut la tempête actuelle – les policiers ont raison de contrôler au faciès, car la majorité des délinquants ne sont pas blancs – n’est-ce pas une application parmi d’autres de cette belle idée de statistiques ? C’est pourtant simple : une fois que l’administration aura le droit de recenser les citoyens par appartenance ethnique, on pourra à la fois vérifier si les Noirs sont honteusement bloqués dans telle ou telle profession, ET si cela ne s’expliquerait pas par leur plus grande propension au crime !

Et pourtant aucun défenseur des statistiques ethniques n’aide ce pauvre Zemmour dans son impasse médiatique actuelle. Pire, Louis-Georges Tin et Patrick Lozès, patrons d’un CRAN toujours très en pointe dans le combat pour ces statistiques, ont de façon incompréhensible fustigé le racisme rampant de l’éditorialiste politique de Laurent Ruquier !

Trêve d’ironie. L’affaire Zemmour est en train de démontrer par l’absurde le danger de cette idée même de statistiques, et le mélange d’incohérence et d’inconscience de celles et ceux qui les défendent en espérant lutter contre le racisme. Eric Zemmour d’une part, ceux qui fustigent son racisme tout en défendant les statistiques ethniques d’autre part, ont un point commun fondamental : ils considèrent que la « race », couleur de peau ou consonance du patronyme peut constituer une façon acceptable de définir un citoyen dans notre République. Sans doute les uns le font ils avec les meilleures intentions du monde, quand les autres sont mus par des arrière-pensées plus douteuses. Mais au bout du compte ils se retrouvent sur la considération que cette donnée physique particulière qu’est la couleur de peau a vocation à être traitée comme, disons, le niveau d’études, les revenus ou la catégorie socio-professionnelle.

Du moment que l’on introduit de la classification ethnique dans le pacte républicain, il faut accepter, si l’on est un peu cohérent, que l’on puisse s’en saisir pour mesurer tout et n’importe quoi. Du parfois utile, comme les discriminations. De l’anecdotique, comme la satisfaction sexuelle, les goûts musicaux, que sais-je encore (on saura ENFIN si les Noirs dansent mieux !). Et du sordide, comme la corrélation entre crime et couleur de peau. Un « sordide » qui rime avec « stupide », puisque la découverte zemmourienne mélange avec mauvaise foi deux choses fort différentes : le lien entre pauvreté et un certain type de délinquance, et celui entre couleur de peau et pauvreté. Si le premier lien est effectivement explicatif et pertinent, le second n’est que la conséquence accidentelle des aléas de l’immigration. A d’autres époques, comme l’écrit Maître Eolas, la petite délinquance aurait été blanche.  Et encore faut-il faire la différence entre Paris et la province … Savoir qu’il y a éventuellement plus de Noirs et d’Arabes que de Blancs délinquants ne nous apprendrait rien sur les causes et les remèdes du problème, mais renforcerait sans aucun doute la peur fantasmée de la « racaille » dans l’opinion.

Les partisans des statistiques ethniques rétorqueraient certainement qu’elles permettraient de mesurer, dans le cas des discriminations, non pas une corrélation accidentelle et non explicative (comme dans le cas du lien entre délinquance et couleur de peau), mais un lien de cause à effet bien réel, celui entre peau un peu trop foncée et refus raciste de recrutement dans une entreprise par exemple. Mais une fois que la pratique sera entérinée, allez donc faire d’aussi subtiles distinguos dans les médias … Progressera probablement de façon spectaculaire l’habitude de tout ramener à la couleur de peau, le communautarisme, et au bout du compte le racisme. Surtout si, comme le laissent entendre deux juristes de bords politiques différents, Maître Eolas et Philippe Bilger, on constate en effet une prédominance de certaines couleurs de peau dans les tribunaux de région parisienne.

L’enjeu républicain reste plus que jamais le passage à une pensée et à une société post-raciales, où la couleur de peau ne serait plus vue que comme une différence physique parmi d’autres, et serait déchargée de toute la charge symbolique et des tabous et fantasmes qu’elle porte aujourd’hui. Zemmour et les pro-statistiques ethniques, qui sont en fait deux facettes d’une même pièce, contribuent malheureusement à nous en éloigner.

Romain Pigenel

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7 Comments

  1. C’est le premier article vraiment intéressant, et en plus à l’angle très délicatement ciblé, que je lis sur “l’affaire Zemmour”. Tu pousses la délicatesse jusqu’à écrire “dansent mieux” en lieu et place de “ont le rythme dans la peau”, ça aurait pu passer on sentait l’ironie ! Cette délicatesse, dont on reconnaît la “patte” (et qui par ailleurs n’empêche pas de viser au centre), pourrait être qualifiée de “pigenellienne”, c’est sympa et appréciable.

    Vendredi, mars 26, 2010 at 13:19 | Permalink
  2. beralu wrote:

    Une étude du cnrs qui malgré cette noble origine a été quelque peu snobée. Sans doute pour déviationisme.
    Elle relativise l’argument cliché de Eolas.
    http://puzzledelintegration.blogspirit.com/archive/2007/07/21/une-etude-sur-la-delinquance-des-jeunes.html#comments

    Vendredi, mars 26, 2010 at 19:00 | Permalink
  3. beralu wrote:

    Par ailleurs, étant Zemmourien de stricte obédiance, je suis contre les statistiques ethniques et pour l’assimilation.
    Du mélange bien brassé dont est faite la France.
    Savez-vous que l’emblématique bal musette résulte du croisement de la bourrée des auvergnats et de l’accordéon des immigrés italiens ?

    Vendredi, mars 26, 2010 at 19:05 | Permalink
  4. DD wrote:

    « Libération » avait pourtant abordé indirectement le sujet sans que cela ne choque étrangement personne : “Rappel”
    Titre «Les prisons manquent d’imams»
    Comment lutter contre le prosélytisme islamiste en prison ? (…)
    Combien y a-t-il de musulmans en prison ?
    Un peu plus de la moitié des détenus seraient d’origine musulmane. Et jusqu’à 70 % dans certains établissements. Même s’il n’y a pas de statistiques au niveau national, chaque prison sait combien de détenus font le ramadan, la prière. Elles peuvent aussi établir des statistiques sur la base des prénoms. Les aumôniers musulmans ont également une appréciation.
    http://www.liberation.fr/societe/0101119457-les-prisons-manquent-d-imams
    Plusieurs poids plusieurs mesures dans notre pays où la dictature de l’information est de rigueur ?… Ce n’est pas pour rien que pour la plupart des représentant de la gauche caviar et des “coco” refusent toutes stats sur le sujet pour continuer à manipuler l’opinion publique.

    Samedi, mars 27, 2010 at 8:58 | Permalink
  5. Romain wrote:

    Merci pour l’étude du CNRS, très intéressant.

    Samedi, mars 27, 2010 at 13:38 | Permalink
  6. @Julianr0ss wrote:

    Bonjour,

    Je suis plutôt un partisan des études ethno-raciales en France, et pour autant je ne me reconnais pas dans ce billet plutôt bien amené (paradoxalement à ma position).

    Corréler systématiquement les statistiques ethno-raciales à leur usage de mesure et étude de la délinquance est l’arbre qui cache la forêt d’intérêts que cette approche quantitative permet par ailleurs. D’ailleurs, si l’on veut identifier la délinquance, en cols bleus et blancs, les études socio-professionnelles sont permises et bien plus parlantes et opérantes.

    L’approche ethno-raciale dans les statistiques a un intérêt :

    - non pas seulement « contre » la discrimination professionnelle, mais pour l’application des chartes et engagements de la majeure partie des grandes entreprises françaises engagées « pour la diversité ». Sans quantification, on entretient une hypocrisie des vœux pieux. Les entreprises disent faire des efforts, et, dans la dimension officielle, ces efforts sont inquantifiables, donc nuls sur le plan comptable.

    - Sur le plan médiatique, elles permettent d’aborder le ressenti de l’image donnée de la diversité sur ses publics et ainsi, progressivement, d’éroder les stéréotypes et entretenir une image plus juste et pertinente des minorités visibles sur les écrans. Par exemple tous les networks américains, les grandes chaînes britanniques qui ont par nature une approche quantifiées de la diversité, ont dans leurs services d’études et marketing des focus groups qui renvoient leur perception de la diversité sur les écrans des chaînes. Cela permet notamment de modifier marginalement mais pertinemment les angles dans les sujets de news ou la teneur des scripts des fictions et séries. C’est d’ailleurs cela qui à force de malentendu avec le public a fini par pousser les networks américains produisant ou coproduisant des séries à majorité afro-américaine dans leurs castings…d’embaucher des scénaristes noirs.

    - Sur le plan de l’entreprenariat, des données ethniques chiffrées permettraient à bon nombre de créateurs d’entreprises sur des créneaux « diversité » ou « ethnique » (on passera ici sur la pertinence des termes objet d’un autre débat) manquent de données fiables pour faire valoir leurs business plan quand ils se mettent en recherche de financements. Et je ne parle pas là de business réellement communautaires, simplement des projets d’entreprises ayant vocation à toucher un public particulier. Et oui c’est un public particulier, comme l’est celui des femmes, des enfants, des seniors, des cadres sup, etc… Il n’y a pas d’essentialisation criminelle ici.

    - Sur le plan de la délinquance, et je m’y risque au dessein de la polémique, il y aussi un intérêt. Certes mécaniquement des résultats démontrant une majorité raciale dans tels ou tels types d’actes de délinquance seraient instrumentalisés par des acteurs plutôt xénophobes ou racistes. Et bien instrumentalisons les aussi !!! Rappelons les raisons sociales et politiques de ces éventuelles majorités ethniques de la délinquance, dénonçons les !! C’est aussi une arme de combat politique pour le camp progressiste ! Mais sans quantification on a que du blabla et du ressenti. On ne fonde pas une politique non populiste sur du ressenti ou des vœux pieux.

    J’ai bien dit en introduction que j’étais « plutôt » pour les statistiques ethniques. Je mesure les effets pervers et comprends la méfiance qu’elles suscitent. Mais je considère les blocages que leur absence crée comme plus problématique pour le pays. Pour savoir il faut compter.

    Je terminerai par cette phrase d’Amin Maalouf, qu’il me semble bon de méditer : « C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer ».

    Cordialement.

    Lundi, mai 2, 2011 at 15:41 | Permalink
  7. Broussin wrote:

    Nous parlons, vous parlez des prisons. Parlons des ethnies incarcérées. Je ne parle pas de nationalité, je parles d’ethnie.
    En France c’est la désinformation, même sur lr site officiel des prisons. Surtout silence sur tous ces gens qui poluent le pays
    AB

    Mardi, décembre 13, 2011 at 5:39 | Permalink

6 Trackbacks/Pingbacks

  1. [...] This post was mentioned on Twitter by . said: [...]

  2. Variae › Tapie dans l’ombre, l’insécurité on Vendredi, avril 16, 2010 at 17:49

    [...] faits d’une minorité, qui contribue à la discrimination d’ensemble de toute une population. Les propos récents d’Eric Zemmour en sont un exemple parmi [...]

  3. Variae › Noir c’est noir (?) on Mardi, juillet 13, 2010 at 15:31

    [...] en communiqués dénonçant un climat malsain et raciste dans notre pays ; on aurait eu droit à de beaux débats avec Zemmour pour savoir s’il y a plus de noirs polytechniciens ou dealers ; Nicolas Sarkozy et Eric Woerth [...]

  4. [...] à l’Élysée, ou le fait de s’engager dans la course au populisme rance avec un super-Zemmour conspirationniste [...]

  5. Romain Pigenel on Mardi, janvier 11, 2011 at 9:38

    #Lozès, le #CRAN et tous les défenseurs des #statistiques #ethniques vont-ils venir soutenir #Zemmour au tribunal ? http://bit.ly/bOzn5R

  6. [...] à convaincre d’autres savants, comme la sociologue Elisabeth Teissier ou le philosophe Eric Zemmour, d’intégrer le collectif d’intellectuels en formation autour de Nicolas Sarkozy. Un grand [...]

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