Skip to content

Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse »

Il est difficile, dans cette campagne présidentielle à 200 km/h sur fond de cataclysme économique, d’isoler un mot ou un fait de la semaine qui vient de s’écouler. Mais, si je devais absolument répondre à cette question pour les 7 derniers jours, mon choix serait somme toute assez simple : la déclaration faite par Jean-François Copé devant le Bureau politique de l’UMP, pour se féliciter de l’efficacité de ses porte-paroles et tirailleurs chargés de harceler l’adversaire socialiste. « Chez nous, c’est massacre à la tronçonneuse ».

Il est presque étonnant que cette saillie quand même pas banale n’ait pas fait plus de bruit. Il faut dire que Jean-François Copé ne l’a pas tenue publiquement, mais à huis-clos, devant témoins. Il n’a pas de chance, l’ami Copé : quelques jours auparavant, des journalistes rapportaient d’aussi peu amènes propos du chef de l’UMP sur les « minables » qui se contentent d’un modeste défraiement de parlementaire. Je veux bien imaginer que le malheureux n’ait décidément pas de chance, et que tout ce qu’il dise soit systématiquement déformé et amplifié. Mais en l’absence de protestation virulente au sujet du « massacre à la tronçonneuse », admettons qu’il a effectivement proféré cette louange originale pour ses troupes.

 

Que l’on ne s’en scandalise pas plus est un bon indicateur du niveau de frénésie et de violence verbale qui caractérise cette campagne, et auquel tous les observateurs se sont petit à petit habitués. Le vocabulaire martial est un classique du discours politique ; on parle facilement de « snipers », à gauche comme à droite. Mais l’image de Copé est saisissante car elle marque un changement de degré et de nature. La frappe « chirurgicale » du sniper est directe, nette et sans bavure. Les coups de tronçonneuse sont bruyants, grossiers, et multiplient les dégâts collatéraux. Surtout, on passe de l’image du tir à celui du massacre, ce qui n’est pas rien, comme le montrent quelques synonymes glanés dans le dictionnaire : « boucherie, destruction, dévastation, génocide, hécatombe, pogrom, tuerie. ». Du film de guerre au film gore. Le tir du sniper a une cible et un objectif précis ; le massacre vise l’éradication des forces adverses, pour elle-même et sans autre fin.

 

On pourrait épiloguer longuement sur ce que cela révèle de l’imaginaire sarkozyste, dont l’ex-chiraquien se fait le porte-parole (je dirais presque l’aboyeur), façon Patrick Bateman de Seine-et-Marne. Une continuité, du Kärcher à la tronçonneuse. La brutalité, la grossièreté, la haine des adversaires, une conception de l’affrontement politique dans laquelle le vaincu n’a pas de place : après tout, l’ouverture des premiers mois de 2007 visait d’abord à pulvériser la gauche, à éradiquer l’opposition pour ne laisser de place qu’au seul grand parti des amis du président. Dans le contexte actuel, cette violence verbale prend un autre sens, et une signification d’une autre ampleur. C’est le réflexe désespéré d’une bête traquée qui, acculée par son bilan, par les sondages et par le contexte international calamiteux, ne peut plus gagner que par défaut de ses adversaires. Toute l’énergie de la campagne pas encore commencée du président-candidat est alors concentrée sur un tir de barrage contre François Hollande, au mépris des règles élémentaires du débat public, de l’honnêteté intellectuelle et du respect le plus élémentaire. Mentir, insulter, parasiter, faire diversion, anything goes. Les occupants du château assiégé jettent du haut des murailles tout ce qui leur tombe sous la main pour briser les assaillants.

Et pendant ce temps, à quelque jours d’intervalle, le FN se conforte dans les sondages, et le fameux AAA du pays finit par tomber. Le contraste est cruel entre la gravité de ces événements, et le ricanement satisfait du dirigeant de l’UMP devant les efforts destructeurs de ses lieutenants. Mais ce contraste fait sens. La montée du FN, c’est aussi et d’abord la conséquence du sentiment de l’impuissance des politiques, plus prompts à se jeter des saloperies à la figure qu’à faire gagner l’intérêt général. La perte du AAA, c’est – tout le monde le dit et même les agences – la suite mécanique de l’entêtement du président dans une politique idéologique, inefficace, douce pour les siens et dure pour les autres – l’entêtement à ne pas écouter l’opposition. On ne peut pas être un as du démembrement à la Tobe Hooper et un bon chef d’État : il faut choisir. Et le choix a visiblement été fait depuis longtemps.

 

Romain Pigenel

Merci, dans l’ordre, à Vlad @unraleurdeplus et  à @Domydom pour les deux illustrations de cet article !

 

Le massacre des mots de la politique continue ici.

A lire aussi :

2 Comments

  1. Marianne ARNAUD wrote:

    Ôtez-moi d’un doute : Copé a décidé de se présenter à la présidentielle ?

    Dimanche, janvier 15, 2012 at 21:54 | Permalink
  2. Marianne ARNAUD wrote:

    Bon ! Je viens de lire : Copé ne se présente pas à la présidentielle.
    Ce qui vous choque et nous vaut ce billet c’est son “niveau de frénésie et de violence verbale”, dans une expression formulée “à huis-clos”.
    Le parler rude et vert, n’a-t-il pas toujours existé en France ? Il me semble que même les séminaristes doivent être au courant.
    Rabelais n’est-il plus lu dans nos Grandes Ecoles ?
    Quoiqu’il en soit, faire porter à cet écart de langage, la montée du FN et la perte du triple A, c’est peut-être aller un peu vite en besogne.
    Pas étonnant que tout le monde en reste coi !

    Lundi, janvier 16, 2012 at 10:45 | Permalink

19 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Dimanche, janvier 15, 2012 at 17:54

    Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/rauzez8o / Illustré par @unraleurdeplus et @Domydom

  2. Romain Pigenel on Dimanche, janvier 15, 2012 at 17:55

    [Variae] Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/tSLaazvc

  3. romainblachier on Dimanche, janvier 15, 2012 at 17:56

    via @romain_pigenel Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/oLI6wmed

  4. G. Alain bembelly on Dimanche, janvier 15, 2012 at 17:58

    Lisez => Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/6W1bAE5S via @Romain_Pigenel

  5. Dom on Dimanche, janvier 15, 2012 at 18:05

    [Variae] Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/tSLaazvc

  6. slovar on Dimanche, janvier 15, 2012 at 18:26

    [Variae] Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/tSLaazvc

  7. Romain Pigenel on Dimanche, janvier 15, 2012 at 22:05

    Du Kärcher à la tronçonneuse : l'UMP / Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/rauzez8o

  8. JamesDarlays on Dimanche, janvier 15, 2012 at 22:06

    Du Kärcher à la tronçonneuse : l'UMP / Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/rauzez8o

  9. Anna Gueye on Lundi, janvier 16, 2012 at 8:24

    Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » #variae http://t.co/0jRCpMJY via @Romain_Pigenel

  10. Romain Pigenel on Lundi, janvier 16, 2012 at 13:16

    Jean-François #Copé joue aux jeux de #massacre…par @Romain_Pigenel : http://t.co/w6ZzNaBb

  11. [...] jQuery("#errors*").hide(); window.location= data.themeInternalUrl; } }); } http://www.variae.com – Today, 3:08 [...]

  12. MI Pichn on Lundi, janvier 16, 2012 at 22:18

    Les mots de la politique (23) : Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/hIiLsY55 chez @romain_pigenel

  13. [...] déjà concurrencé chez son propre constructeur par les plus récents vaisseaux de classe « Copé » et « Fillon [...]

  14. [...] bilan catastrophique, ne sait que moquer et détruire. D’un côté, les « minables » et le « massacre à la tronçonneuse » de Jean-François Copé et de la cellule riposte de l’UMP ; de l’autre, ce geste simple, [...]

  15. [...] appris” gnagnagna … pfff. Ca va vraiment être “massacre à la tronçonneuse” pour les [...]

  16. Romain Pigenel on Jeudi, mars 15, 2012 at 21:36

    Copé réclame un "massacre à la tronçonneuse" contre la gauche #Hollande2012 http://t.co/rauzez8o sur @variaeblog

  17. Romain Pigenel on Mercredi, mars 21, 2012 at 21:06

    Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/rauzez8o (@variaeblog)

  18. Romain Pigenel on Vendredi, avril 20, 2012 at 21:06

    #VotezHollande Copé et le « massacre à la tronçonneuse » http://t.co/vp0eJJ7L via @Romain_Pigenel

  19. [...] à réduire la langue de bois en menus copeaux (n’est-il pas celui qui rêvait de « massacrer à la tronçonneuse » François Hollande ?) ; il en a encore fait la preuve lundi matin, au micro de Jean-Jacques [...]

Post a Comment

Your email is never published nor shared. Required fields are marked *
*
*