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La gauche Godwin

Les annonces sécuritaires de Nicolas Sarkozy, un projet « inédit depuis les Nazis ». Les effets de manche sur le retrait de nationalité pour les délinquants ? Du « racisme d’Etat », « très [sic] fasciste ». Les provocations de Nadine Morano au sujet de leurs enfants ? « Une sorte de racisme officiel », à comparer « aux années 30 » durant lesquels « on désignait les Juifs comme les causes de nos propres malheurs ». Qui sont les auteurs de ces propos caractérisés par un hitlerocentrisme quelque peu obsessionnel ? Trois responsables de premier rang de la gauche ; respectivement et dans l’ordre, un ancien premier ministre, Michel Rocard, une présidentiable, Eva Joly, et le chargé de la rénovation du Parti Socialiste, Arnaud Montebourg. On pourrait y ajouter la contribution de Jean-Christophe Cambadélis quelques mois auparavant, au sujet d’Eric Besson.

Faut-il prendre le maquis ? On n’a pas encore vu l’UMP se constituer en milice et marcher sur l’Assemblée, Brice Hortefeux, pourtant connu pour ses dérapages faciles sur le sujet, théoriser l’infériorité d’une race par rapport à une autre, organiser le placardage d’affiches dénonçant les Roms ou affréter des convois pour les envoyer à la torture ou à la mort. On peut encore critiquer le gouvernement publiquement. Et il n’y a pas de raison objective de penser que l’on est en route pour une telle situation, sauf à partir dans des spéculations délirantes. Ce que l’on observe, c’est la continuation d’une politique menée de longue date par la droite : l’expulsion des étrangers, avec dans ce cas précis l’exploitation cynique de la mauvaise réputation de la population ciblée. Traiter de nazis ceux qui forcent les portes des églises pour y déloger des sans-papiers ou qui rasent les camps de gens du voyage n’apporte rien à l’analyse de la situation ; on n’a jamais remarqué non plus que cela avait pour vertu de déclencher des insurrections populaires. Tout ce qui reste de ces indignations en pilote automatique, c’est le sentiment d’une vaste confusion où tout se mélange, Hortefeux, l’Apartheid, le IIIème Reich, Sarkozy. Plus rien n’a de sens ; que l’on n’aille pas condamner Dieudonné, ensuite, quand il vient faire son « Heil Israël » à la télévision, ou l’UMP quand elle défend Woerth en comparant Mediapart à la presse d’extrême-droite. Après tout, pourquoi la reductio ad Hitlerum serait-elle l’apanage de la gauche ?

Le jargon geek a donné un nom à cette tendance : la loi de Godwin. Toute discussion en ligne finirait fatalement par aboutir, à mesure que les esprits s’échauffent, et que la qualité des échanges baisse, à des accusations mutuelles de nazisme, de fascisme ou de stalinisme. Appliquée à la politique et au débat public, cette loi est ravageuse. Elle réduit les interventions de l’opposition, prisme médiatique aidant, à des indignations caricaturales, même quand autre chose de plus intéressant est dit. Ainsi quand le secrétaire national à la sécurité du PS parle dans un communiqué des baisses d’effectifs de la police tout en comparant un nom d’unité créée par Hortefeux à des forces paramilitaires pétainistes, c’est la deuxième partie du propos – inutile – qui est reprise. A force, c’est l’antiracisme lui-même qui est dévalué et dévoyé, faisant le miel des néoconservateurs type Eric Zemmour qui le fustigent comme tyrannique et coupé de toute réalité.

L’indignation, sincère ou non, justifiée ou non, n’est pas un discours politique. Un responsable politique, comme son nom l’indique, doit être capable au contraire de la dépasser, surtout quand ses adversaires la recherchent par des provocations pour brouiller le débat et éviter qu’on parle de la réalité du terrain, qui leur est ô combien défavorable. L’indignation ne parle en outre qu’aux Français déjà convaincus. Que pense, a contrario, quelqu’un qui n’a pas les moyens de partir en vacances cet été et qui observe que l’on donne plusieurs centaines d’euros à une famille rom pour quitter le territoire, étant entendu qu’elle y reviendra vite ? C’est ça, le « nazisme » ou le « fascisme » ? Sans pédagogie, le militantisme de perpétuelle indignation peut couper la gauche de son électorat. C’est évidemment ce que recherche la droite.

Le problème posé pour les partis d’opposition n’est pas celui de la qualification morale de ce que fait le gouvernement. Les associations, les églises, la « société civile » s’en chargent fort bien. Ce qu’on attend de l’opposition, c’est qu’elle recadre les faits : qu’elle explique que la focalisation sur les Roms est une diversion organisée, que par conséquent elle n’entrera pas dans cette polémique, mais qu’elle demande des comptes sur la réduction des effectifs de police, l’empilement législatif, les refus d’installation de commissariat, etc. Qu’elle rappelle aussi que toutes les zones d’ombre n’ont pas été éclaircies sur l’affaire Woerth. Enfin, qu’elle fasse chorus dans ce sens, que les uns n’attaquent pas l’UMP sur ses résultats pendant que les autres dissertent sur les  « stigmatisations scandaleuses » ou la « dérive anti-républicaine » ; une des rares banderilles vraiment plantées sur le dos de Nicolas Sarkozy, la dénonciation du bouclier fiscal, l’a été grâce à l’obstination de l’ensemble des élus de gauche à la marteler envers et contre tout, des semaines et des mois durant. Il n’y a pas de raison de croire que le même résultat ne puisse être obtenu pour l’insécurité.

Si l’opposition ne se tient pas à cette discipline, elle se fera « balader », d’indignation en indignation, à la traîne de Nicolas Sarkozy, qui n’aura aucune peine à lui imposer son agenda – toujours avec un coup d’avance. Et c’est ainsi que plutôt que de se concentrer sur la grande manifestation pour la défense des retraites, la gauche improvise une manifestation contre la politique sécuritaire du gouvernement … On imagine déjà sans peine comment les trolls de service de l’UMP, Lefebvre, Morano et autres Paillé, s’en donneront à cœur de joie pour expliquer que la gauche manifeste contre la sécurité.

Une dernière réflexion. A force de dépeindre Hortefeux en Oberführer et Sarkozy en Grand Satan, on leur confère une sorte de légitimité, d’aura de force méphistophélique. C’est leur faire un grand honneur : en vérité, ce qui qualifie le mieux ce gouvernement, c’est l’échec, l’absurdité, le mensonge et l’impuissance. Ségolène Royal a ainsi judicieusement fait remarquer qu’il fallait arrêter de qualifier Sarkozy de sécuritaire, puisqu’il n’assure en rien la sécurité. Cela vaut pour tout. La dramatisation vaut prise au sérieux, et donc légitimation. Il est grand temps au contraire d’emprunter le registre de l’ironie et du mépris.

Romain Pigenel

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6 Comments

  1. Praxis wrote:

    Il ne faut pas oublier, dans ce cas, de distribuer des points au Times, au NYT, et à toute la presse facho-trotskyste internationale qui parle aussi de xénophobie, de gestapo, de rafles, etc.

    Sur l’opposition, je crois qu’elle a compris. Elle ne se laisse plus enfermer par les gesticulations d’en face, lentement et sûrement, elle construit son projet.

    Après, honnêtement, ne pas s’étouffer d’indignation est un peu difficile en ce moment (même si, à froid, c’est évidemment contre-productif).

    Lundi, août 23, 2010 at 0:16 | Permalink
  2. P. wrote:

    il me semble que le parti socialiste tient exactement le discours que vous préconisez. Eva Joly n’a pas remplacé Martine Aubry, et quant à Rocard, est-il seulement encore au parti? Quant à Montebourg, soyons sérieux, depuis quand est-il un responsable politique?
    J’ai plutôt vu des réactions habiles de la part du parti – jusqu’à ce que Ségolène revienne encore se victimiser sur le dos de ses camarades. C’est désolant, quand on veut faire perdre la gauche plutôt que de s’effacer…

    Lundi, août 23, 2010 at 15:47 | Permalink
  3. Pour l’instant, et au désespoir de plus d’un militant, les réactions socialistes se caractérisent surtout par des critiques, des coups de menton et une certaine cacophonie. Quant au godwinisme, consultez le site du PS pour vous en faire une petite idée …

    Dimanche, août 29, 2010 at 18:38 | Permalink
  4. Et si le point Godwin atteint on ne voyait que ça ?

    En clair imagination la discussion. On débat et quelqu’un provoque un point Godwin et accuse son interlocuteur de Hitler ou autre. Même si le débat continue avec d’autres qui passent au delà de ça, même si cet interlocuteur qui lance cette diatribe n’est qu’un électron, n’a pas d’importance, comment le débat peut-il continuer sereinement ? En conséquence au moment précis où le point est atteint peut-on revenir en arrière ou est-ce définitivement perdu ?

    J’ai personnellement le sentiment que même si les attaques et les dérives ne seraient que faibles et résiduelles ce serait déjà trop et trop tard. On aurait provoquer la rupture du débat et on ne pourrait plus continuer à démontrer, réfléchir. En lançant donc ces attaques sur Sarkozy et sa politique on a donc atteint un point de non-retour, provoquant c’est sûr un brouillage plutôt favorable au gouvernement qui comme vous le faites remarquer peut occulter les vraies questions.

    Jeudi, septembre 23, 2010 at 19:08 | Permalink
  5. Internetdev wrote:

    Hyper d’accord puisqu’avant d’attérir sur cette page, j’ai eu l’occasion de dénoncer cette technique (sûrrement élaborer par un Guéan ou Guaino) de divertion massive.
    Comme par hazrd, les camps de Roms furrent damentellés alors que Médiapart lançait l’Affaire Woerth / Femme / Bettencourt plus Woerth / hyppodrome de Compiègne.
    Je rappèle que Nicolas Sar.. a souhaité, bizarement que Woerth conserve son poste de trésorier en même temps que celui de Ministre du Budget dans lequel il a mis en place ce bizard “Bouclier” qui trouve aujourd’hui révéle sa réele déstination : Donner des gages aux donnateurs du « Premier Cercle » et le « Cercle France » qu’il crée en 2004.
    En 2007 Sarkozy reçoit 9 125 105 (WIKI source).

    Si Nicolas S. multiplie les lois sur l’insécurité, c’est qu’il n’a acune solution sur les problèmes économiques qu’il comblent par se interventions sécuritaires conforté par les colabos comme Besson & Co.

    Ce président, en campagne perpétuelle, racle les fonds F.N. car “2002/Le Pen” est son modèle.

    Question: Qu’a fait Woerth de la liste des 3000 contribuables détenteurs de comptes en suisse qu’il disait détenir. S’en est-il servit pour capter d’autre donnateurs?

    Il n’a démissioné de son poste de trésorier UMP que le 31/09/2010! Il avait-il du ménage à fair?

    CF: – http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ric_Woerth.
    – Médiapart.
    – le Blog de Jean-François Khann.

    Mercredi, octobre 6, 2010 at 0:46 | Permalink
  6. Internetdev wrote:

    Il ne faut pas se tromper.

    Les lois sécuritaires sont une corvé, car elles ne finacent pas les micro-partis U.M.P. et occupent le térrain politique là où l’économie pourrait afficher l’innéficassité des lois TEPA (cape de financer l’UMP).

    Pour le reste:
    - http://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-haras-qui-rit-de-florence-woerth_904667.html

    P.S.: je ne bosse pas pour l’Express!

    Mercredi, octobre 6, 2010 at 3:21 | Permalink

15 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Dimanche, août 22, 2010 at 21:38

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  2. Tefy Andriamanana on Dimanche, août 22, 2010 at 21:40

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  3. Authueil on Dimanche, août 22, 2010 at 21:56

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  4. Farzad FARID on Dimanche, août 22, 2010 at 22:06

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  5. Variae › Jusqu’ici, tout va bien on Jeudi, août 26, 2010 at 17:38

    [...] Il est facile de se mettre d’accord sur la condamnation des conflits d’intérêts ou des stigmatisations ethniques. Ça l’est déjà un peu moins sur les retraites, où l’on sent bien un flottement, [...]

  6. Twitted by benoitconta on Jeudi, septembre 23, 2010 at 12:20

    [...] This post was Twitted by benoitconta [...]

  7. Variae › Dormez jeunesse ! on Jeudi, octobre 14, 2010 at 14:54

    [...] de Guy Môquet, mort à 16 ans d’avoir justement désobéi à l’ordre ambiant. « Point Godwin ! » rétorquera probablement le chœur des porte-parole UMP ; résister au nazisme, ce n’est [...]

  8. Variae › Prières sur la chaussée, politiques à la rue on Dimanche, décembre 12, 2010 at 14:26

    [...] envers les personnes, sont plus parlants que toutes les comparaisons que l’on pourra faire avec Vichy. De même, il est fondamental d’aller chercher Marine Le Pen sur le terrain de la [...]

  9. [...] envers les personnes, sont plus parlants que toutes les comparaisons que l’on pourra faire avec Vichy. De même, il est fondamental d’aller chercher Marine Le Pen sur le terrain de la vérification [...]

  10. Variae › Une année sur Variae (2010) on Vendredi, décembre 31, 2010 at 19:26

    [...] ou la parole sinistrée ), usage systématique de références à la Seconde Guerre mondiale (La gauche Godwin), tentatives de copyrighter des expressions (Le mot et la chose) … Un barnum linguistique [...]

  11. Variae › Papy boom, brain crash on Vendredi, février 4, 2011 at 2:09

    [...] à chaque fois lourdement leur implication dans la Seconde Guerre mondiale (par ici les points Godwin !), comme si elle était finalement la mesure ultime et indépassable de toute valeur ? On ne peut [...]

  12. [...] quand les propos incriminés n’y font aucunement référence, de même que brandir le sacro-saint épouvantail des années 30, donne le sentiment d’une gêne sur cette question. Pourquoi déduire d’une critique [...]

  13. Variae › Wauquiez, cancérologie et stratégie on Mardi, mai 10, 2011 at 17:04

    [...] égard, le « cancer de l’assistanat » est une sorte de chiffon rouge qui conduit la gauche à sur-réagir et donc, d’une certaine manière, à apparaître comme les défenseurs de l’assistanat. [...]

  14. [...] du débat), mais il n’est pas le point Godwin. Une personne peut à la rigueur atteindre le point Godwin et le point Fukushima en une seule phrase, mais les exemples attestés sont rares et le demeureront [...]

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