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Les rites de la politique (2) : l’appel spontané à candidature

Il est triste de voir comme un seul mouton noir peut nuire à l’image de toute une corporation. Prenez celle des candidats à la présidentielle : faisant d’un cas particulier une règle, on imagine qu’ils sont tous à l’image de Nicolas Sarkozy, c’est-à-dire autocentrés, pleins d’un désir égoïste de réussite personnelle et prêts à tout pour l’assouvir. Y a-t-il cliché plus erroné ? Les authentiques candidats à la candidature sont en vérité des individus modestes, effacés, peu prompts à parler de leur candidature, et de toute manière moins mus par un désir de se présenter, que par une obligation quasi morale de se plier à la demande qui émane des masses populaires. Nous en avons actuellement, à gauche, la démonstration éclatante.

 

Oh certes, je ne pense pas ici aux lumpen-candidats, à ces grossiers bateleurs, ces vulgaires Montebourg, Royal ou Hollande qui n’hésitent pas à se déclarer tôt et sans nuance, qui ont l’impudeur de déployer précocement un projet, qui vont jusqu’à faire campagne avant les 6 mois précédant l’élection. So 2007. Heureusement, à côté de ces Sarkozy attardés trônent, aussi silencieusement que majestueusement, les vrais et dignes candidats, ceux qui ont la pudeur de ne pas verser dans le bal des égos. Ceux-là – je ne les nommerai pas pour respecter leur souhait de discrétion sur leurs intentions réelles – se contentent d’être attentifs à la demande profonde du pays, seule à même de vaincre leurs réticences à se mettre en avant, et qui s’exprime notamment par le phénomène qui fait l’objet de ce billet, celui de l’appel spontané à candidature.

 

Les meilleurs spécialistes des primaires américaines vous le diront : pour être candidat, il faut être en situation. « Etre en situation » est un état quasi mystique et très difficilement définissable, qui se détecte à certains signaux indubitables : les sondages, la bienveillance des éditoriaux de Joffrin dans le Nouvel Obs ou dans Libé, de Demorand dans Libé ou sur France Inter (et réciproquement), les off et les bruits de couloir de responsables politiques anonymes dans la presse, et – last but not least, donc – la publication d’appels spontanés à la candidature. Des élus, auxquels viennent parfois se joindre militant-e-s et simples citoyen-ne-s (« Roger M, retraité, Mourad Z. enseignant, Jean-Philippe, secrétaire de section »), se réunissent spontanément pour rédiger un appel solennel, afin de convaincre leur candidat de cœur de surmonter sa retenue et sa modestie et d’envisager de se présenter.

 

On veillera bien à ne pas confondre l’appel spontané avec la banale liste de soutiens à un candidat déjà déclaré. L’appel à candidature ne concerne que les plus grands pas-encore-candidats : à l’été 2006, le vibrant « Socialistes, mesurons nos responsabilités » intimait au PS de « bien réfléchir » à la « stature incontesté d’homme d’État de Jospin » ;  en 2008, quelques grandes élues faisaient circuler un texte proclamant qu’une « autre femme est possible », comprenez Martine Aubry ; en 2010, autour de François Patriat, des élus et responsables dskistes nous expliquaient croire en un seul homme pour 2012, « Dominique Strauss-Kahn, le recours ». Cette année enfin, échéances approchant, le rythme s’intensifie avec, à côté d’appels divers et variés pour DSK, un groupe de « quarante-sept députés socialistes » qui lancent un « appel à se rassembler derrière Martine Aubry » : « Rassembler pour 2012 ».

 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, rédiger de tels appels n’est pas une sinécure. Il faut en effet trouver le difficile équilibre entre la discrétion légitime des candidats non-déclarés, et la nécessité de traduire l’envie et le désir qui montent progressivement dans le pays à leur égard. A cette difficile équation répondent quelques solutions éprouvées. D’abord, refuser d’aller sur le terrain facile des solutions politiques concrètes : dépasser le stade des généralités un peu vagues serait une façon fort malvenue de brûler les étapes et de brusquer le calendrier voté : d’abord des élections intermédiaires, puis le projet, puis encore des élections intermédiaires, et enfin s’il reste un peu de temps les primaires. On se contentera donc, comme les 47 aubrystes, de demander que  les socialistes soient « rassemblés, solidaires, unis » autour de leur championne, et que celle-ci travaille au « rassemblement de la gauche, des écologistes et des forces populaires », qu’elle réunisse « les conditions du rassemblement » – mais autour de quoi, ils ont la délicatesse de ne pas le dire ou le demander. Ensuite, il est très bien venu de vanter les qualités personnelles de l’individu, trop digne et modeste pour le faire lui-même. La personne, toute la personne, rien que la personne. On parlera ainsi de « l’expérience incontestable des affaires nationales comme internationales », de « la vision lucide de la crise que travers notre pays et des défis auquel il doit faire face » pour Jospin ; on se satisfera de la victoire « haut la main » aux « élections cantonales » de la première secrétaire ; on vantera le bilan au FMI d’un DSK qui a transformé « une institution moribonde » en un « pilote respecté du processus mondial de régulation financière », et qui sait « mieux que d’autres les responsabilités que la France et ses partenaires européens devront endosser ».

 

« Mieux que d’autres » : l’appel est aussi l’occasion, en toute camaraderie bien sûr, de rappeler sévèrement à l’ordre ces candidats besogneux dont je parlais auparavant. Ce n’est pas un hasard si certains ont besoin de faire campagne, de risquer des idées quand d’autres n’ont qu’à attendre que l’évidence de leur candidature se fasse dans les esprits ; il est toujours bon de rappeler cette hiérarchie entre candidatures sérieuses, et candidatures qui le sont moins. En 2006 les amis de Lionel Jospin nous mettaient en garde contre une candidate ne sachant que se placer « sur le terrain de l’adversaire », quand les 47 aubrystes nous rappellent que le fait de débattre, de « critiquer notre maison commune et sa première secrétaire, ce serait affaiblir le PS et ne pas répondre à l’immense attente des Français ». Bref, les candidats de deuxième division peuvent bien se livrer à leurs médiocres chicaneries, mais qu’ils le fassent entre eux, et qu’ils laissent les candidatures naturelles tranquillement émerger. La gauche française prendra-t-elle le risque de se priver de [leur] talent ?“.

 

Nos sauveurs entendront-ils la clameur qui monte de toutes parts, les appels, et sauront-ils triompher de leur sens du devoir, à la tête de telle institution ou de tel parti, pour admettre l’hypothèse de leur candidature ? Céderont-ils à l’enthousiasme populaire, tel le chanteur revenant sur scène faire un bis, porté par les applaudissements du public ? Se résoudront-ils malgré leur probité à faire part de leur volonté d’Elysée ? Le suspens est insoutenable. Quant aux sempiternelles mauvaises langues qui pourraient mettre en doute le caractère spontané de ces appels, ou la ferveur nationale qu’ils traduisent, quant à ceux qui s’étonnent qu’on parle finalement plus de noms que d’idées, ils feraient mieux, comme on les y invite vigoureusement, de se taire et de « se retrousser les manches » : au PS, « il y a du travail pour tous ! ». Et des candidatures pour certains.

 

Romain Pigenel

 

Les autres rites de la politique décortiqués ici.

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5 Comments

  1. Nicolas wrote:

    Ca ne me choque pas. Avec tout ce que j’ai entendu des partisans de Ségolène Royal depuis 2006… jusqu’à aujourd’hui…

    Mais j’ai peut-être un certain parti pris…

    Mercredi, mars 30, 2011 at 18:08 | Permalink
  2. Excellent…

    Pas de programme, pas d’idées, de la soupette tièdasse et un peu de vaseline pour mieux faire passer les excès d’embonpoint de Goldman Sachs et affidès…et c’est CA que réclamme le peuple à cors et à cris ?
    Nos braves élus n’ont pas été en contact avec le bon peuple depuis un moment et…ils voudraient que ça continue (on a noté les noms à Solfé)

    Mercredi, mars 30, 2011 at 23:07 | Permalink
  3. @Nicolas : peut-être, va savoir :-)

    @Alain : déclaration de V. Peillon ce jour : “le projet du PS n’aura pas de points forts pouvant gêner les différents candidats” … tout est dit.

    Jeudi, mars 31, 2011 at 1:58 | Permalink
  4. El Fredo wrote:

    On est en pleine fabrication du consentement. Sauf que les électeurs n’ont plus envie de se laisser berner.

    Jeudi, mars 31, 2011 at 17:39 | Permalink
  5. @El Fredo : il y a surtout une grosse erreur d’analyse sur le succès de Royal il y a 5 ans (déjà !), puisque c’est visiblement le modèle suivi par l’équipe DSK. Royal n’a pas été imposée par les sondages au PS, elle s’est imposée et au PS, et aux sondages, par les idées et le renouvellement qu’elle incarnait alors … En pensant gagner en se laissant porter par les seuls sondages, je pense que DSK comme une lourde faute d’appréciation.

    Jeudi, mars 31, 2011 at 18:54 | Permalink

12 Trackbacks/Pingbacks

  1. marcvasseur on Mercredi, mars 30, 2011 at 14:50

    RT @romain_pigenel: [Variae] Les rites de la politique (2) : l’appel spontané à candidature http://tinyurl.com/4hkrvpw

  2. Authueil on Mercredi, mars 30, 2011 at 14:54

    RT @Romain_Pigenel: [Variae] Les rites de la politique (2) : l’appel spontané à candidature http://tinyurl.com/4hkrvpw

  3. Laure BARGUILLET on Mercredi, mars 30, 2011 at 14:59

    RT @marcvasseur: RT @romain_pigenel: [Variae] Les rites de la politique (2) : l’appel spontané à candidature http://tinyurl.com/4hkrvpw

  4. Mathieu en vrai on Mercredi, mars 30, 2011 at 15:04

    Les rites de la politique (2) : l’appel spontané à candidature : http://wik.io/thk2K

  5. Adrien (Eridan) on Mercredi, mars 30, 2011 at 15:12

    RT @Matyeult: Les rites de la politique (2) : l’appel spontané à candidature : http://wik.io/thk2K

  6. Assa Samaké on Mercredi, mars 30, 2011 at 18:12

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  7. Romain Pigenel on Jeudi, mars 31, 2011 at 15:22

    Les appels à candidature pour les #primaires du #PS, preuve de la vertu des candidats #variae http://bit.ly/eECzfK

  8. keuli keula on Dimanche, avril 3, 2011 at 11:52

    RT @Romain_Pigenel: Les appels à candidature pour les #primaires du #PS, preuve de la vertu des candidats #variae http://bit.ly/eECzfK

  9. jegoun on Dimanche, avril 3, 2011 at 11:53

    RT @Romain_Pigenel: Les appels à candidature pour les #primaires du #PS, preuve de la vertu des candidats #variae http://bit.ly/eECzfK

  10. pourquoi pas on Dimanche, avril 3, 2011 at 12:09

    l'appel spontané à candidature – http://www.variae.com/les-rites-de-la-politique-2-lappel-spontane-a-candidature/

  11. Variae › Paresse idéologique et confort sondagier on Mardi, avril 19, 2011 at 18:23

    [...] ne sont déjà plus en piste, ceux qui le seront peut-être, ceux que l’on pousse à l’être à la demande générale, il y a de quoi se perdre. Chacun suit son petit rythme pépère, DSK ses réunions pour sauver le [...]

  12. [...] la légitimité, évidence également soulignée par la mise en scène préalable de ralliements et d’appels émanant de tous les bords du [...]

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