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Nuit sénatoriale

Il fait nuit sur l’Elysée.

Comme dans un songe, les mêmes chiffres, les mêmes résultats repassent en boucle sur les chaînes d’information en continu. Les mêmes visages défaits à droite, les mêmes mines réjouies à gauche. En une étrange surimposition sonore, il entend sur France 2 les derniers mots d’un documentaire consacré à son irrésistible marche vers le sommet de l’Etat.

Les Fauves. Oui. Et ce soir il a tout d’une bête acculée.

Comment en est-il arrivé là ? La réponse est peut-être dans la question. Toute une vie construite pour La Conquête, de coups de boutoir en coups tordus. Il s’agissait de prendre l’Elysée. Pour y faire quoi ? Question secondaire. Ca semblait simple : réformer, et servir sa caste. Le plus dur était d’y arriver. Pensait-il. Après, on verrait bien. On a vu.

Moi, je suis une Ferrari, lui faisait dire Rotman. Mais la Ferrari rouille dans son garage. La vie de château sied mal à un spécialiste de la guerre de mouvement. Le condottiere n’a pas su se muer en imperator. Il y eut la farce des premiers mois, le yacht, le footing, la Sarkozie triomphante. Puis l’état de grâce a vacillé, l’opposition s’est relevée. Progressivement. Il n’était alors déjà plus que le président de crise, celui qui se refait sur une martingale, déroute financière un jour, débarquement en Libye le lendemain. Ce soir, que reste-t-il de tout ça ? Quelques éléments de langage répétés sans y croire. Des réformes, victoires au forceps sur le coup, qui ont, voix après voix, inexorablement, donné l’hégémonie sondagière à ses adversaires. Des affaires, qui achèvent de donner à cette fin de mandat des allures de crépuscule napoléonien. La curée.

Il regarde par la fenêtre. Ce soir, son sang a coulé. Une fois de plus. Une fois de trop ? Il est bien placé pour le savoir : son odeur attire les prédateurs. D’abord les petits, ceux qui autrefois venaient lui manger dans la main. Quand il ne les avait pas lui-même nourris au grain. La force va à la force. La faiblesse attire les coups. Il le sait bien. Quelques boulons ont déjà sauté de la statue du commandeur. Dati. Jego. Yade. Charon. Jusqu’à maintenant, les autres ont tenu. Jusqu’à quand ? Seul Sarkozy peut nous faire gagner, répète mécaniquement le bon Fillon. Il les a tous mouillés, tous enchaînés avec lui au radeau de la Méduse. Même Copé, même Juppé. Les rats peuvent bien quitter le navire, les fauves, eux couleront avec le capitaine. Jusqu’à quand ?

Il tenait son camp par la force et par la peur. La première lui manque. La seconde s’évapore. C’est un engrenage fatal. Ils craignaient pour leur vice-présidence, leur circonscription, leur ville, si jamais ils venaient à lui déplaire. Ils les ont perdues, avec ou sans lui. Il était à la fois le talisman de la victoire et celui qui pouvait, en cas de désobéissance, les écraser. Il est aujourd’hui celui qui les fait perdre, avec régularité et impuissance. Même le Luxembourg.

Qu’il est dur de se désintoxiquer de sa propre légende, songe-t-il en se passant la main dans ses cheveux aujourd’hui grisonnants. Accepter son nouveau statut de challenger – tout au plus. Faire la liste des priorités : et parmi elles, sauver sa peau. Sans force, pas de peur. Sans peur, les langues se délient. Les juges enquêtent. La justice décrit des cercles autour de lui. Chaque jour, elle se rapproche, emportant dans ses serres une autre brebis du troupeau. Un jour, elle s’enhardira jusqu’à frapper le berger. Il s’y prépare. Ses deux pères sont là pour le lui rappeler.

Faire la liste des priorités. Se représenter en est-il encore une ? Subir ce long chemin de croix, être général d’une armée de mutins, au bord de la rupture, risquer, au bout du chemin peut-être, l’humiliation finale ?

Il sort de son bureau. Demain, il fera jour.

Romain Pigenel

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16 Comments

  1. Laure wrote:

    clap clap clap !
    Magnifique texte, chapeau !

    Lundi, septembre 26, 2011 at 10:50 | Permalink
  2. Merci !

    Lundi, septembre 26, 2011 at 11:07 | Permalink
  3. Arthur wrote:

    Joliment tourné!

    Lundi, septembre 26, 2011 at 11:32 | Permalink
  4. pegase 2 d wrote:

    Un regal, une écriture à la façon du roman noir, noir comme cette fin de mandat. Et maintenant que la lumière jaillisse!

    Lundi, septembre 26, 2011 at 12:52 | Permalink
  5. Un partageux wrote:

    Une incapacité à changer, même un peu, une stratégie perdante.

    Et pourtant il y a encore beaucoup de force du côté du pouvoir. À commencer par le pouvoir avec tout ce que cela représente de capacités. La puissance de l’argent qui ne fera jamais défaut. La puissance d’une presse aux ordres, le doigt sur la couture du pantalon. La puissance d’une intelligentsia, radotant sans fin les éternels poncifs du libéralisme.

    Et pourtant, il sombre inexorablement, le pouvoir. Comme naguère l’Armée blanche subissait revers sur revers. Jusqu’à la chute finale.

    Lundi, septembre 26, 2011 at 14:07 | Permalink
  6. Olivier wrote:

    Très beau texte. J’aime en particulier l’image de la justice “emportant dans ses serres une autre brebis du troupeau”.

    Lundi, septembre 26, 2011 at 15:12 | Permalink
  7. @Arthur : merci !

    @Pegase : itou !

    @Un Partageux : une suite à 4 mains ? ;-)

    @Olivier : plus fort que la balance, l’aigle.

    Lundi, septembre 26, 2011 at 15:46 | Permalink
  8. Laurent W wrote:

    Bon, je ne suis pas original, mais c’est un texte absolument magnifique.
    Bon, après, on ne sait jamais de quoi demain va être fait !! Méfions-nous…

    Lundi, septembre 26, 2011 at 20:44 | Permalink
  9. @Laurent : exact. On ne sait même pas si on va avoir la présidence de la vieille assemblée alors … Mais comme on dit, à chaque jour suffit sa peine, et ce qui est pris n’est plus à prendre :-)

    Lundi, septembre 26, 2011 at 21:02 | Permalink
  10. Jardidi wrote:

    Ah si, on peut anticiper un certain nombre de choses! La latinité devrait se reconstruire très vite autour de Marine Le Pen et, comme les girondins n’ont en magasin que toujours plus de pauvreté sur fond d’absence de démocratie, le FN va continuellement monter en puissance.

    Mardi, septembre 27, 2011 at 8:19 | Permalink
  11. GERARD DUFFOURG wrote:

    Bonjour,

    Non cher Variae, ce qui annonce, annonçait la défaite de sarkozy est qu’il ait été candidat de la droite pour 2007, déjà !.
    Une droite décente (ce n’est pas mon camp et je place la barre en haut, tout en haut) n’aurait pas dû le choisir déjà et ne serait ce que comme candidat.
    Question sur la politique en France : mais la droite a t-elle eu le choix ?.
    Ou bien avoir un grande g….. , du culot jusqu’au ridicule (le voir aboyer pour Balladur pour 1995 fait presque mal, met mal à l’aise au niveau humain comme quoi ce n’est pas mortel) des appuis, être capable de tromper les français et servir les nantis …. .
    Pourvu que l’on se débarrasse en effet et de fait de l’absurdité, de l’indécence, de la honte que l’on croyait appartenir à un autre régime.

    Mardi, septembre 27, 2011 at 16:04 | Permalink
  12. Hunter wrote:

    Vraiment un très beau texte sur la descente aux enfers d’un médiocre qui a réussi à berner 53% des électeurs en 2007.
    C’est la chute finale…

    Mardi, septembre 27, 2011 at 16:37 | Permalink
  13. nico93 wrote:

    Mais j’avais raté ce magnifique texte! C’est poignant :-)

    Mardi, septembre 27, 2011 at 21:55 | Permalink
  14. Rincevent wrote:

    Très beau texte .
    La fin de règne d’un parrain . Nul doute qu’un sicaire se tient dans l’ombre, la dague sortie du fourreau…

    Mercredi, septembre 28, 2011 at 9:34 | Permalink
  15. Pullo wrote:

    Beau texte sur une situation qui ne l’est pas…

    Mercredi, septembre 28, 2011 at 13:36 | Permalink
  16. @Jardidi : votre prose me laisse toujours songeur …

    @Gérard : pourvu, oui. En même temps, sans Sarkozy, pas de victoire de l’UMP en 2007. Mais c’était visiblement un fusil à un coup.

    @Hunter : on peut berner une fois 1000 personnes, mais pas 1000 fois une personne. Espérons-le, du moins :-)

    @Nico93 : en cas de défaite de la gauche en 2012, je pourrais toujours me reconvertir en poète de cour pour Sarko.

    @Rincevent : l’occasion fera le larron !

    @Pullo : non, en effet.

    Mercredi, septembre 28, 2011 at 16:30 | Permalink

13 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Lundi, septembre 26, 2011 at 8:41

    [Variae] Nuit sénatoriale http://t.co/kT8hn0n7

  2. Romain Pigenel on Lundi, septembre 26, 2011 at 8:44

    Cette nuit, à l'Elysée … / Nuit sénatoriale #variae http://t.co/jimX44xu #sarkozy

  3. Nuit sénatoriale | Dans les restes du monde | Scoop.it on Lundi, septembre 26, 2011 at 10:49

    [...] Nuit sénatoriale [...]

  4. Romain Pigenel on Lundi, septembre 26, 2011 at 13:46

    Ce qui s'est passé cette nuit à l'Elysée / Nuit sénatoriale http://t.co/jimX44xu #variae #sarkozy

  5. Valérie de Saint-Do on Lundi, septembre 26, 2011 at 13:50

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  6. Romain Pigenel on Lundi, septembre 26, 2011 at 19:18

    Dans la tête de John Malkovitch, pardon, Nicolas #Sarkozy / Nuit sénatoriale #variae http://t.co/jimX44xu

  7. Peggy on Lundi, septembre 26, 2011 at 19:22

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  10. Variae › Panique boursière chez Sarkozy & Sons on Lundi, octobre 3, 2011 at 17:59

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  12. Variae › Les mots de la politique (14) : la carrure on Samedi, octobre 22, 2011 at 22:03

    [...] d’une épine. Tel serait donc l’imaginaire du sarkozysme en cette fin de mandat. Le tirailleur en perpétuelle guerre de mouvement s’est progressivement ralenti, pour finir à l’arrêt, statufié, calcifié, fossilisé, misant sur sa masse ramassée pour [...]

  13. Sénat 2011 by leftblogs - Pearltrees on Dimanche, janvier 8, 2012 at 7:03

    [...] Nuit sénatoriale Qu’il est dur de se désintoxiquer de sa propre légende, songe-t-il en se passant la main dans ses cheveux aujourd’hui grisonnants. Accepter son nouveau statut de challenger – tout au plus. Faire la liste des priorités : et parmi elles, sauver sa peau. [...]

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