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Ivan Rioufol, Toulouse et les paras « d’origine musulmane »

On se demandait. On se demandait qui allait briser le couvercle qui résistait jusqu’alors, tant bien que mal, sur le chaudron de la bêtise humaine bouillonnant depuis lundi et les meurtres de Montauban puis Toulouse. La réponse est désormais connue : Ivan Rioufol, cet homme qui tient table ouverte dans les colonnes du plus grand site d’information français mais se réclame, dans son billet du jour, de la « majorité silencieuse ». Le ton est donné.

 

Parlons donc de son billet du jour. Il triomphe, l’ami Rioufol : l’identité djihadiste du forcené toulousain vient enfin donner raison – selon lui – à ceux qui – comme lui – criaient au choc des civilisations en préparation. Bon prétexte pour un feu d’artifice lexical faisant soudain ressembler Le Figaro à un mélange entre Le Nouveau Détective et une publication néoconservatrice : les moralistes qui « ont couvé un monstre », « barbare », « guerre contre l’Occident », « germes d’une guerre civile », « morale de pacotille », « idéologie totalitaire », « esprits fanatisés », « les masques tombent enfin », « suintant la haine ». La bave (à moins que ce ne soit la salive) aux lèvres, le procureur fait pleuvoir les coups sur tous ses ennemis, de SOS Racisme à François Bayrou, qui ont commis le crime odieux « d’accuser […] Marine Le Pen ». Scandale !

 

Tout le papier rioufolesque est frappé du sceau de la rhétorique pernicieuse, procédant par exagérations grandguignolesques, rapprochements abusifs et sophismes dits « de la pente glissante ». Ou comme disent les enfants : marabout, bout de ficelle, selle de cheval. Ainsi, d’un acte terroriste isolé Rioufol déduit les prémisses d’une « guerre civile ». Dans l’antiracisme il voit la volonté de ne pas critiquer les Musulmans, donc les Musulmans extrémistes, donc ceux qui passent à l’acte – bref, indignez-vous des polémiques sur le halal à la cantine, et vous cautionnerez par avance un attentat à la bombe. Cette logique, mue par des ressorts proches de la paranoïa (on constitue un tableau d’ensemble à partir de quelques éléments épars, et tordus dans le sens qui vous arrange) et empêchant par avance tout débat, permet à l’éditocrate éructant de placer dans la même phrase les mots « Bayrou » et « idéologie totalitaire », ce qui constitue un tour de force journalistique qu’il faut, tout de même, saluer au passage. C’est toujours cette « logique » délirante qui rend possible un point Godwin d’anthologie, Rioufol parvenant à introduire au bout de dix lignes le concept de « nazislamiste » et à rappeler l’alliance entre un grand mufti et Hitler – au cas où on le soupçonnerait, lui, d’accointances avec le second. Chapeau l’artiste ! Merci de ne pas lui signaler, pour ne pas le peiner, qu’avec le même type de raisonnement, on pourrait l’accuser de complicité avec Anders Breivik.

 

Mais rien ne résume mieux cette pratique de l’amalgame boutefeu que la toute première phrase de son éditorial. « L’assassin des trois enfants juifs, d’un jeune rabbin et de trois parachutistes d’origine musulmane (rajout: dont un de religion catholique) ayant combattu en Afghanistan », peut-on lire. Où l’on découvre un nouveau pays, la Musulmanie, dont les habitants finissent parfois par rejoindre l’armée française, et même que de temps en temps, ils adoptent la religion catholique. Couleur de peau, nationalité, ethnie, religion, tout se mélange dans l’esprit de Rioufol, obsédé par la grande croisade à venir. On attend maintenant avec angoisse son analyse sur « l’origine » (d’appellation contrôlée ?) des policiers blessés du RAID, et sur les Français innocents [© Raymond Barre] qui auraient pu être tués nonobstant leur intervention.

 

Dans les moments que nous traversons, il y a deux attitudes possibles. La première : réaffirmer les valeurs de la République laïque, universaliste et émancipatrice, appeler ceux qui la défendent à faire front ensemble, dans le respect de son unité, contre ceux qui veulent la détruire. La seconde : attiser les feux de la haine, jouer sur les peurs, jeter à la vindicte populaire des noms, des communautés, pour pousser dans la sens du conflit que l’on appelle de ses vœux. Et empêcher tout débat sérieux et approfondi sur les problèmes de l’intégration ou des quartiers. J’ai relu attentivement le billet de Rioufol : dans cette longue litanie de coupables et de traitres désignés, le mot République, à la différence de « France » ou « d’identité nationale », n’apparaît pas une seule fois. Au moins, le message est clair, et les anti-républicains (et autres communautaristes) pas seulement là où on le croit.

 

Romain Pigenel

L’UMP peut-elle danser la carmagnole à la Bastille ?

La réussite du meeting-manifestation du Front de Gauche à la Bastille est un fait politique à prendre en compte dans cette phase finale de la campagne électorale. On ne peut pas dire qu’il surprend totalement les observateurs attentifs de cette dernière : la dynamique de la candidature Mélenchon, attestée à la fois par ses meetings et ses sondages, et l’envie bouillonnante à gauche d’en finir avec un mandat Sarkozy qui n’en finit plus d’abîmer le pays, rendaient prévisible le succès d’un grand événement populaire à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Mais entre le probable et l’actuel, il y a toujours un pas et le Front de Gauche l’a gaillardement franchi dimanche, avec le succès que l’on sait.

Un tel événement met toujours un peu de temps à « infuser » dans l’opinion, et les prochains jours permettront de vérifier ses effets. Mais on peut d’ores et déjà conjecturer que c’est un temps de campagne dont l’UMP peut espérer tirer quelques bénéfices. Jean-Pierre Raffarin n’a d’ailleurs pas tardé à s’en saisir et féliciter, tout comme Henri Guaino.

Premièrement, parce que ce meeting à ciel ouvert donne à Jean-Luc Mélenchon le matériau médiatique lui permettant de faire enfin exister sa campagne au-delà du cercle des convaincus. Il tient des images de foule impressionnantes, ailleurs que dans l’enceinte fermée et habituelle d’un meeting. Elles disent aux téléspectateurs que la candidature Mélechon ne se limite pas à la seule personne du tribun écumant les plateaux télévisés. Du coup, François Hollande est tout d’un coup moins seul à gauche, au moment où Nicolas Sarkozy fait au contraire le vide dans son propre camp.

Deuxièmement, parce qu’on ne peut pas exclure l’hypothèse de vases communicants entre les candidatures Hollande et Mélenchon, la seconde progressant en partie aux dépens de la première. Je subodore que plus d’un marcheur présent à la Bastille était à cheval entre les deux candidats, avec un choix pas encore totalement déterminé. Dans cette perspective, ce qui fait monter Mélenchon peut faire baisser Hollande. Or on sait toute l’importance prêtée par Nicolas Sarkozy au « croisement des courbes » avec François Hollande, c’est-à-dire à la possibilité de passer devant lui au premier tour – événement censé, dans la mythologie sarkozyste actuelle, ouvrir la voie d’un retournement du second tour.

Troisièmement, parce qu’un Front de Gauche au score important contraint, dans l’entre-deux-tours et même avant, le Parti socialiste à se déporter sur la gauche, à « durcir » son projet et son discours. Ce qui complique d’autant la « chasse » aux électeurs du centre, nécessaires pour remporter l’élection. Gageons qu’à l’inverse, l’ultime mouvement de Nicolas Sarkozy – une fois l’électorat de droite dure consolidé – sera de se recentrer, et de tenter de convaincre ces Français du centre, délaissés par un PS penchant sur sa gauche … Son discours de Villepinte était d’ailleurs déjà moins droitier que celui de Marseille.

Ce scénario est loin d’être écrit, n’en déplaise à Buisson et consorts. Mais la journée de dimanche a contribué à le faire entrer un peu plus dans le domaine de l’envisageable.

Romain Pigenel

Toulouse, Gaza : taisez-vous, Catherine Ashton

Catherine Ashton,

 

Vous occupez le poste de « haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎ ». Je me souviens que l’on s’était fortement interrogé, lors de votre nomination, sur vos compétences et votre légitimité pour occuper une fonction si importante ; depuis lors, vous n’avez pas spécialement brillé par votre activisme, laissant notamment passer le train des révolutions chez nos voisins de l’autre côté de la Méditerranée. Peut-être votre discrétion était-elle jusque là une preuve d’intelligence ; la sagesse commande en effet de s’effacer, plutôt que de forcer son talent, quand on manque cruellement de ce dernier.

 

Il faut croire que la pression médiatique consécutive aux tragédies de Toulouse et de Montauban a été plus forte que cette conscience de vos limites. Vous avez sans doute considéré que vos obligations protocolaires vous commandaient de sortir de votre silence habituel. Vous avez donc parlé.

 

« Quand nous pensons à ce qui s’est passé aujourd’hui à Toulouse, quand nous nous souvenons de ce qui s’est passé en Norvège il y a un an, quand nous savons ce qui se passe en Syrie, quand nous voyons ce qui se passe à Gaza et dans différentes parties du monde, nous pensons aux jeunes et aux enfants qui perdent leur vie […] C’est à [ces jeunes] que je veux rendre hommage », avez-vous dit, évoquant également « les enfants belges qui ont perdu la vie dans une terrible tragédie » lors d’un accident d’autocar en Suisse la semaine dernière, et rendant hommage aux jeunes Palestiniens qui « contre toute attente, continuent à apprendre, à travailler, à rêver et aspirent à un meilleur avenir ».

 

Votre priorité, Catherine Ashton, est très claire : banaliser ce qui est survenu à Toulouse, en le noyant dans la problématique générale de la mortalité infantile. Guerre, meurtre par un psychopathe, accident de bus : tout se vaut dans le shaker qui semble vous tenir lieu de cortex. On peut regretter que vous n’ayez pas également évoqué la mort subite du nourrisson, ou le congélateur des époux Courjault, et relancé le débat sur l’avortement pour élargir encore un peu plus votre panorama. Pensez-y pour votre prochaine sortie de votre hibernation habituelle.

 

Mais là où ce que l’on analysera, au choix, comme votre bêtise ou votre manque d’empathie touche à l’ignoble et à l’irresponsable, c’est quand vous filez le parallèle avec le conflit israélo-palestinien, commençant par comparer le massacre de Toulouse à « ce qui se passe à Gaza », avant de rendre hommage aux jeunes Palestiniens qui « contre toute attente » (sic) continuent à vivre leur vie, malgré …

 

Malgré quoi ?

 

Pourquoi n’allez-vous pas au bout de votre raisonnement, pourquoi ne dites-vous pas clairement : chers enfants juifs français, de même que des petits Palestiniens meurent par la faute de l’armée israélienne, vous vous faites exécuter d’une balle dans la tête, tout cela est bien triste, mais c’est finalement la même histoire ? Pourquoi ne pas assumer le fond de votre propos : chers petits Juifs, en vérité je vous le dis, arrêtez de faire du mal aux Palestiniens, et ensuite on pourra vous plaindre ? Prenez sur vous, reprenez-vous, prenez exemple sur eux, eux, hein, ils ne se plaignent pas, alors que ce que vous avez enduré hier matin, ils le subissent tous les jours ! Et d’ailleurs, à eux, on peut leur rendre hommage. Et le meilleur moment pour le faire, cet hommage, c’est quand vous, vous vous faites tirer comme des lapins.

 

Que se passe-t-il dans votre petite tête, madame Ashton, représentante de tous les Européens, donc un peu de moi aussi ? Pensez-vous qu’il faut, à chaque fois que l’on évoque un malheur frappant des Juifs, y accoler la Palestine, pour faire bonne mesure et ne surtout pas être soupçonné de prendre parti ? Et réciproquement ? Croyez-vous qu’il soit utile, dans un contexte de tensions xénophobes et face à une suspicion de meurtres racistes, d’ajouter de l’huile sur le feu des tentations communautaristes ?

 

Vous venez, avec fracas, de donner raison à ceux qui fustigeaient votre incompétence et s’étonnaient de votre nomination. Vous témoignez à votre manière du triste état de cette Europe qui ne tourne pas rond, jusqu’à sa tête. Vous tirerez, ou non, les conséquences de votre déclaration consternante de stupidité. En attendant, je n’ai qu’une demande, en tant qu’Européen, Français et républicain universaliste : taisez-vous, Catherine Ashton, taisez-vous.

 

Romain Pigenel

Bernard Tapie, supplétif médiatique de la Sarkozie

Sacré Nanard ! A 69 piges bien frappées, l’œil vif, la carrure massive, la répartie gouailleuse, le poil sombre et le teint halé, il est toujours prêt à venir vous causer dans le poste, distribuant bons et mauvais points et sentences définitives. Tour à tour chanteur, entrepreneur, magnat du foot, ministre, taulard, comédien, écrivain, il fait partie de ces quelques pipoles qui finissent par exister hors de toute case, produit inoxydable valant par sa seule pittoresque présence.

Dimanche soir, Super Nanard était l’invité de Laurent Delahousse dans la dernière partie de son journal télévisé. Pour quelle raison ? On ne sait plus trop : à la fin de l’interview, au bout de 15 minutes de palabres, on évoque in extremis un livre qui va sortir (« je fais un livre, et pour pas influencer, je le sors juste après l’élection ») … mais en mai. Ah et puis « J’vous signale que j’étais venu pour vous indiquer que je commence au théâtre le 25 avril ». Deux échéances qui laissaient le temps de venir en parler plus tard. Et qui de fait préoccupent bien peu l’ancien patron de l’OM, à en croire la physionomie de l’émission.

 

Car pendant 10 grosses minutes, on ne parle pas de littérature ou de dramaturgie, oh non. Passées quelques considérations initiales sur la forme du championnat de France de football, on entre dans le dur : la politique.

 

Séquence émotion. D’abord un florilège vidéo des grandes heures de Tapie dans les gouvernements de gauche et de la bagarre avec Le Pen, il y a vingt ans. Split screen avec, sur le côté, le visage ému de notre Nanard national, tout spécialement à la vue de Mitterrand. Le message est assez clair : Tapie, c’est la gauche, la gauche qui gagnait les élections nationales, par-dessus le marché. Mais qu’on se rassure : « la politique c’est fini, c’est interdit », Madame Nanard ayant « tellement souffert » ; « le rêve est fini ». Il faut croire qu’il se prolonge quand même un peu, ce beau rêve, puisqu’il ne faut que quelques secondes pour  entendre le touche-à-tout sévèrement burné nous livrer malgré tout son analyse politique de la situation en 2012.

 

Qu’on se le dise, ce pauvre Bernard est un socialiste contrarié : en 2007 comme en 2012, il avait un candidat – Strauss-Kahn – mais à chaque fois on le lui a retiré, par la faute à pas de chance. Et toujours par le plus grand des hasards, il se trouve qu’en 2012 comme en 2007, « y a pas photo » entre les candidats qui restent en lice – c’est toujours Nicolas Sarkozy qui se détache. Hollande ? « Je ne vais certainement pas appeler à voter » pour lui, car « il n’a pas bien compris la crise ». C’est qu’il « fait le cake », le père Hollande, contre les financiers qui paient les salaires de nos fonctionnaires, à nous autres salauds d’endettés ! Et pour la monnaie chinoise qui serait trop chère, imagine-t-on le socialiste de taille à négocier avec le président de l’Empire du Milieu, « vous savez celui qui n’a pas voulu le recevoir » (bon, c’était Fabius, mais on n’est plus à ça près) ? « L’autre va lui dire : vous êtes qui vous ? » Bref, il faut être « lucide sur la réalité : on n’a pas les moyens d’agir de cette manière-là ». De Tapie à TINA. Ah ma bonne dame, c’est pas DSK « qui aurait fait ces conneries-là », parce que « il les fréquente, il les connait », lui, les grands de ce monde !

 

Laurent Delahousse fait timidement mine de résister. Évoque pour la forme l’affaire du Tribunal arbitral. Puis s’interroge à voix haute sur le langage de Tonton Nanard. Tout ça, « c’est pas un peu caricatural ? ». Non, « c’est la vérité Monsieur, c’est la vérité ! ». Autre vérité, « le mec [Sarkozy] il a sauvé l’économie, il a sauvé mon épargne, votre épargne ». Bref, Tapie va appeler à voter Sarkozy.

 

C’est drôle, les hasards de la vie, on vient faire de la pub pour sa pièce de théâtre de dans un mois et pour son livre de dans deux mois, et on se retrouve, comme ça, sans s’en rendre compte, à entonner à la chaîne, avec gourmandise, les éléments de langage du candidat sortant, au mot près. Hollande sans expérience et sans carrure, Sarkozy rempart contre la crise … Ah oui, mais attention : « Sarkozy il a fait plein de choses qui ne m’ont pas plu, et je ne suis pas UMP ». Ouf ! Pendant un moment, on a failli le croire. Allez, un dernier coup de pied de l’âne pour terminer. Mélenchon ? « Fabuleux », et à la différence de Besancenot, « lui, il est du système ; ça c’est une stratégie possible », il n’a pas envie « de faire la même chose en moins bien ». Ça a quand même plus de gueule que le vote Hollande, non ?

 

Vestige tenace de l’ouverture de 2007, Bernard Tapie est au show-biz ce que Claude Allègre est à la science. L’un et l’autre, en temps de campagne, viennent étaler dans les médias complices la compatibilité entre leur prétendue identité de gauche, et le soutien à Sarkozy.  N’existant que par le faux contraste qu’ils sont censés incarner entre leur histoire socialiste (révolue) et leur choix actuel, ces supplétifs médiatiques de la sarkozie, sortes de sophismes vivants, incarnaient en 2007 l’illusion d’une France rassemblée autour de l’ex-maire de Neuilly ; aujourd’hui, ils ne participent plus que d’une stratégie d’enfumage sur la réalité calamiteuse des cinq dernières années. Décidément, le sarkozysme dégrade tout.

Réussir  sa vie, c’est d’être un président, ou bien n’importe qui, et de prendre le temps, d’aider un ami …

 

Romain Pigenel

Sarkozy, l’anti-hollandiste primaire

Nicolas Sarkozy a le triste privilège d’être un des rares hommes politiques dont le nom a inspiré un titre non pas de doctrine politique, mais de mouvement de colère et d’exaspération. Si on voit à peu près ce qu’est un sarkozyste, on ne peut pas dire que la notion de sarkozysme soit très claire, au bout de 5 ans de mensonges, de revirements et de promesses non tenues. En revanche, chacun voit et ressent très bien ce qu’est l’anti-sarkozysme. La chose est même tellement évidente qu’elle est devenue un leitmotiv pour les responsables de l’UMP, toujours prompts à condamner « l’anti-sarkozysme primaire », fustigé comme une perversion haineuse du débat politique raisonné et raisonnable.

Que n’a-t-on pas entendu à ce sujet depuis quelques mois, les échéances électorales se rapprochant ! « Le PS prouve en tout cas sa volonté de faire de la campagne un concours d’anti-sarkozysme primaire » (Guillaume Peltier). « une étape supplémentaire dans l’antisarkozysme érigé en stratégie politique » (Franck Riester). Martine Aubry qui « croit devoir faire de l’anti-sarkozysme primaire » (Frédéric Lefebvre). Généralement, la dénonciation s’accompagne d’une accusation : celle de s’acharner sur le Président sortant pour mieux cacher le vide de son propre programme. « Ceux qui ont fait de l’antisarkozysme le seul argument de leur campagne », fustige ainsi François Fillon au meeting de Villepinte, quand Valérie Pécresse condamne à l’identique un François Hollande qui voudrait faire de « l’anti-sarkozysme la seule arme de l’élection et le seul argument de sa campagne ». L’anti-sarkozysme primaire – la critique obsessionnelle et compulsive du candidat de l’UMP – serait donc en fait le cache-misère et le révélateur d’un manque criant d’idées.

 

Je me suis amusé, si je puis dire, à consulter le discours de Nicolas Sarkozy à son meeting de Lyon, dont le texte est disponible sur le site de l’UMP. Il suit un plan très marqué : (1) comment le Général de Gaulle a conçu l’élection du Président de la République ; (2) ce que, par conséquent, on n’a pas le droit de faire durant une campagne présidentielle (cacher son programme ou le modifier tout le temps), avec un portrait en creux de la campagne de François Hollande ; (3) François Hollande « joue » avec les Français et ne les « respecte » pas ; (4) François Hollande refuse le « débat » et la « vérité » le « gêne » ; (5) « dire la vérité » au Français, c’est leur dire ce qu’il faut travailler plus, plus longtemps et que l’État dépense moins ; (6) la gauche ne dit pas la « vérité » aux Français ; (7) la gauche a commis « tant de fautes » qu’elle n’a pas à « donner de leçons » ; (8) « les socialistes veulent nous faire croire qu’ils ont changé. Mais ils n’ont pas changé. » ; (9) « Mon projet pour les Français » ; (10) la France « a un rôle décisif à jouer dans le monde », elle l’a prouvé durant le dernier quinquennat de Sarkozy.

 

Ce plan est assez éloquent, mais les chiffres le sont encore plus. Sur un document de 32 246 caractères, seuls 2065 sont consacrés au projet présidentiel, soit un peu plus de 6%. Si on considère que les éléments de bilan prennent à peu près autant de place dans le texte, on se retrouve donc avec un discours tourné à 90% vers la critique – violente – de François Hollande et de la famille politique qu’il représente. La comparaison avec le dernier grand discours de François Hollande, à Marseille, est sans appel. Sur 49 487 caractères, 7125 (14%) sont consacrés à la critique de la droite et de Nicolas Sarkozy. Soit une proportion à peu près exactement inverse. Quand François Hollande utilise les 9/10èmes de son temps de parole pour présenter sa candidature, Nicolas Sarkozy utilise une aussi grande proportion du sien … pour critiquer François Hollande.

 

Il faudrait donc, si je suis la logique des dirigeants de l’UMP, inventer le concept d’anti-hollandisme primaire, dont le principal représentant serait Nicolas Sarkozy. Un mélange d’insultes (le « misérable » accord entre le PS et Europe Écologie, adjectif ne figurant par sur le discours écrit mais ajouté à l’oral par un Sarkozy emporté par sa fougue), de mensonges (le PS qui voudrait « régulariser massivement les clandestins ») et d’insinuations (« Je veux le dire aux ouvriers de la sidérurgie : certains de vos syndicats préfèrent faire des coups politiques plutôt que de défendre vos emplois »). Peut-être Nicolas Sarkozy devrait-il se remémorer sa propre analyse de ce type de discours en 2007 (à 0:40 sur la vidéo ci-dessous) :

 

« Quand des candidats n’ont pas d’idées, quand ils n’ont pas d’arguments, quand ils n’ont aucune conviction, quand ils croient en rien, et que de surcroit ils ne travaillent pas, alors ils n’ont d’autre recours, que l’insulte, le mensonge, et l’insinuation ».

 

Romain Pigenel

De l’incohérence d’un argument récurrent de Sarkozy contre François Hollande

Parmi les arguments systématiquement repris et bombardés par Nicolas Sarkozy et l’UMP contre François Hollande, celui sur « l’inexpérience » du candidat socialiste tient une place prépondérante. Décliné sous toutes les formes – « méconnaissance profonde de la nature des relations internationales » (Copé), « François Hollande n’a aucune expérience pour tenir la barre » (Daubresse), « François Hollande n’a aucune expérience » (Tapie), il ne connaît pas les grands sommets européens (Sarkozy) … – il permet de porter de manière offensive la thématique sarkozyste du « capitaine dans la tempête » et de déplacer le débat présidentiel sur le terrain de l’aptitude à gouverner, pour mieux éviter celui du bilan.

Curieux argument circulaire qui revient à prétendre qu’il faudrait avoir une expérience … présidentielle pour avoir le droit de prétendre à la fonction … présidentielle. Mais il y a plus étonnant encore.

 

Dans la grande entreprise de ré-humanisation tentée parallèlement par Nicolas Sarkozy pour renouer avec les Français, l’apprentissage de la fonction présidentielle sert d’excuse récurrente. C’est notamment un des leitmotivs du grand discours de Villepinte. L’apprentissage de l’empathie : « j’ai appris que le président de la République était comptable des joies et des peines des Français, qu’il devait les prendre en compte, s’en imprégner et s’extraire de tout le reste ». Mais aussi celui de la politique nationale : « J’ai appris des blocages auxquels j’ai été confronté ». Et même de la politique internationale : « J’ai appris que lorsque l’on est président de la République française, on n’est pas seulement en charge des intérêts nationaux […] j’ai appris que le destin de la France se jouait en même temps à l’intérieur et à l’extérieur ». Dans un registre proche, la « compréhension » est tout autant omniprésente, pour souligner le fait que Nicolas Sarkozy n’avait pas conscience, avant d’être élu, de l’ampleur et de la nature de la tâche : « J’ai compris […] que la responsabilité du président de la République ne ressemble à aucune autre […] J’ai compris que le président de la République devait assumer la dimension tragique de l’Histoire et qu’au fond, rien ne pouvait y préparer avant de l’avoir vécu […] J’ai compris l’importance symbolique de la parole présidentielle ».

 

Avoir compris, avoir appris, cela suppose qu’auparavant – avant de se faire élire – on ne savait pas. Que l’on n’avait pas l’expérience. Que l’on avait bien pu avoir été ministre du budget ou de l’Intérieur, cela n’avait rien à voir avec la pratique présidentielle.

 

Cela suppose qu’il est normal de ne pas tout savoir de Élysée avant d’y accéder.

 

Bref, que l’élément de langage anti-Hollande ne tient pas la route.

 

Il faut que Nicolas Sarkozy choisisse : soit l’inexpérience présidentielle est impardonnable, et alors il peut renoncer à se représenter ; soit elle est acceptable dans son cas, mais alors aussi dans tous les autres.

 

Romain Pigenel

Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy – Expulsez Gérard Depardieu !

Monsieur le Président de la République, cher candidat Nicolas,

 

J’ai pris connaissance avec intérêt de l’interview de Gérard Depardieu pour la Radio Télévision Suisse où, interrogé au sujet de sa prochaine interprétation de DSK au cinéma, il a livré le fond de sa pensée sur les Français.

« Je ne l’aime pas [Dominique Strauss-Kahn] […] je pense qu’il est un peu comme tous les Français, un peu arrogant, je n’aime pas trop les Français d’ailleurs ». Toujours sur Dominique Strauss-Kahn : il est « très très très [français], il est arrogant, il est suffisant ».

 

Quelques jours auparavant, à Villepinte, il a, a contrario, fait part de son amour pour vous, son « nouvel ami », vous, l’homme « qui ne fait que du bien ».

Il est vrai que vous n’avez, à l’entendre, pas grand-chose de commun avec le Français de base, façon DSK : bien loin d’être « arrogant », on peut même dire que vous avez le cœur sur la main. « A chaque fois que j’ai demandé quelque chose à Sarko, il a répondu présent. Quand j’ai eu récemment des problèmes avec l’une de mes affaires à l’étranger, il s’est mis en quatre et m’a réglé le problème tout de suite. Son conseiller diplomatique m’a même appelé, il a été très gentil avec moi. […] Lorsque je l’appelle, il me rappelle dans le quart d’heure. […] J’aurais perdu beaucoup d’argent s’il ne m’avait pas aidé pour ce problème. Tout ce qu’il me demandera, je le ferai. ».

 

Il est regrettable que Gérard Depardieu ne vous connaisse pas mieux. Il saurait alors qu’il a, avec son interview suisse, porté atteinte à un des piliers les plus fondamentaux de votre pensée politique : la France, tu l’aimes ou tu la quittes.

Monsieur le Président, en écoutant la diatribe de ce représentant du « système » contre les Français « arrogants » et « suffisants » qu’il n’aime « pas trop », je dois vous le dire, j’ai senti ma fibre sarkozyste se rebeller : « on en a plus qu’assez d’avoir en permanence le sentiment de s’excuser d’être français ». Que la première dame ait tenu un discours similaire (« [les Français] sont minables ! Toujours de mauvaise humeur. ») n’enlève rien à la gravité de ses propos. Il faut en venir à l’évidence : Gérard Depardieu fait bien partie de ces « élites » que vous avez fustigées à votre meeting de Marseille, cette « minorité » qui « a trahi les valeurs qu’elle devait défendre et incarner ».

 

Ne prêtant nullement crédit aux rumeurs malveillantes selon lesquelles les mots de notre Cyrano national auraient pu être tenus dans une état second ou sous l’emprise de quelque substance altérant son jugement, je vous appelle aujourd’hui à en tirer toutes les conclusions, et à demander à Gérard Depardieu de quitter immédiatement le territoire national.

 

Car, pour citer encore votre superbe proclamation marseillaise : « Quand on aime la France, […] on tient le même discours à tout le monde parce que tenir le même discours à tout le monde, c’est la seule façon de respecter les Français. ».

 

Et vous les respectez plus que quiconque, n’est-ce pas ?

 

Je vous prie, Monsieur le Président, cher candidat, de recevoir mes salutations pleines d’espoir – et de confiance en la cohérence et la sincérité de votre parole.

 

Votre dévoué Romain Pigenel

[DEPECHE] Croisement des courbes : le camp présidentiel annonce de « nouvelles surprises »

PARIS, FRANCE. Une euphorie maîtrisée règne aujourd’hui dans le camp présidentiel, suite à la parution d’un sondage plaçant pour la première fois Nicolas Sarkozy devant François Hollande pour les intentions de vote du premier tour de la présidentielle. Militants et responsables, fidèles à la consigne de sobriété qui leur a été passée après une longue nuit de réjouissances, insistent sur « le chemin » qui reste à parcourir même si « la supercherie Hollande, de toute évidence » est en train « de s’écrouler ».

Un nuit qui restera gravée dans leurs souvenirs. Amaury, 20 ans, s’émerveille de « la longueur de la farandole » qui s’est formée au siège du parti présidentiel, même s’il regrette que les langues de belle-mère et les cotillons « n’aient pas été de fabrication française ». « Voir un ministre s’engager dans une danse des canards parfaitement exécutée, avec son slip sur la tête », c’est un moment « magique » qui « donne tout son sens à un engagement militant », souffle-t-il, la voix cassée par son trop court sommeil. Roxanne, 25 ans et porte-parole du mouvement citoyen « Les fiscalistes avec Sarkozy », insiste quant à elle sur la nécessité de « faire profil bas » dans une période « où tant de Français soufrent ». « Nous avons passé la consigne à tous nos adhérents de ne pas ouvrir plus d’une bouteille de champagne par personne pour fêter cette victoire », affirme-telle, jugeant nécessaire et légitime la solidarité « avec la France du non, celle qui ne boit que du mousseux, et encore, pour les grandes occasions ».

 

Dans les plus hautes sphères du camp sarkozyste, la même sérénité est affichée, mais en off, les responsables font preuve d’une excitation mal dissimulée. « Le croisement des courbes avec François Hollande n’était qu’une étape, un prélude » analyse un proche du candidat, qui annonce « de nouvelles surprises ». « Nicolas Sarkozy ne se positionne pas dans un duel avec un ancien premier secrétaire du Parti socialiste, il se confronte, un cran au-dessus, à la croissance, à l’emploi, à la confiance des ménages ».

 

Or, nous explique la même source, « nous voyons venir d’ici fin avril un deuxième big bang sondagier », le croisement des courbes « économiques » avec celles des intentions de vote du président. « Alors que Nicolas Sarkozy est sur une tendance à la hausse, nous prévoyons un fléchissement continu et même accéléré » des courbes « de l’emploi, de la croissance, du morale des ménages, du pouvoir d’achat ». Tous ces indicateurs « seront bientôt au même niveau que celui d’Hervé Morin avant de nous rejoindre », se réjouit-on sans trop se cacher dans la direction de campagne de Nicolas Sarkozy, candidat qui peut « légitimement ambitionner de battre et la gauche, et la France », fait d’armes électoral « sans précédent ».

 

Un enthousiasme qui ne se départit pas d’une certaine prudence. « Nous nous attendons à un déluge de mensonges et de mauvaise foi chez les socialo-communistes quand ces courbes croiseront celle du président. Ils essaieront de dire que ce n’est pas du jeu, que tout a été fait depuis 10 ans pour faire plonger les indicateurs économiques. Mais les Français ne sont pas naïfs, ils savent bien, au fond d’eux, que c’est au quinquennat de Nicolas Sarkozy, et à lui seul, que revient tout le mérite d’infliger une défaite cuisante au budget des ménages ou encore à l’IDH [Indice de Développement Humain] du pays. Tout comme ils ne sont pas dupes sur le fait que nous avons demandé à l’INSEE de truquer ces courbes à la hausse, pour ne pas leur infliger une humiliation trop brutale. Elle seraient déjà au niveau d’Eva Joly sans le fair-play présidentiel ! ».

 

Amaury et Roxane, eux, se veulent rassurants, en attendant ce nouveau croisement des courbes. Dans toutes leurs conversations avec « les jeunes de leur âge », ils perçoivent « une très grande lucidité » sur les mérites de Nicolas Sarkozy dans ces domaines. Ils en sont sûrs, « les Français le jour du vote n’auront pas la mémoire courte ».

 

Romain Pigenel, pour l’Agence de Presse Variae

[CURATION] Les meilleurs tweets de l’UMP pour le meeting de #Villepinte #sarkothon

Le meeting de Villepinte de Nicolas Sarkozyété l’occasion d’une forte présence en ligne des personnalités qui soutiennent la réélection du président. Ceci a donné lieu sur Twitter à un riche récit des événements, dans lequel la rédaction de Variae a une nouvelle fois puisé pour vous permettre de revivre ce qui est sans aucune doute un véritable tournant de la campagne.

@nicolassarkozy Zavez vu, on a recyclé les décors de Star Trek !

@nk_m désolé @nicolassarkozy, j’ai pas pu venir à #Villepinte, je n’avais que cent euros pour acheter mon billet de RER.

@gerarddepardieu ça va durer longtemps ? C’est où les chiottes ?

@Carlabruni s’il vous plait, ne critiquez pas trop mon mari, j’ai peur qu’il meure en lisant vos méchancetés ! Please RT

@nicolassarkozy mes amis, disons-le tous ensemble aux syndicats : cassez-vous, pov’ cons !

@gerarddepardieu pssssst, quelqu’un aurait une bouteille ?

@bernard_debre ah ça je peux vous le dire, c’est pas un meeting de lopettes hein

@herve_morin ça me rappelle les meetings de Mussolini, ces foules immenses, aahh … J’avais même pas 12 ans.

@nicolassarkozy si vous n’êtes pas devant la TV, vous pouvez relire mes discours de 2007, c’est juste une réédition

@edouardballadur il est vraiment bien mon Nicolâââââs

@flefebvre_UMP je crois que le beau discours de @nicolassarkozy va devenir mon livre préféré à la place de Zadig & Voltaire

@christianclavier pourquoi je suis pas assis devant @nicolassarkozy ? Mais qu’est-ce que c’est qu’ce biiiiiiiinnnnnz ?

@bogdanofftv nous sommes venus apporter le soutien officiel de la physique quantique à @nicolassarkozy

@jf_cope ”j’ai appris” gnagnagna … pfff. Ca va vraiment être “massacre à la tronçonneuse” pour les législatives.

@malliotmarie je ne comprends pas l’absence du président Bouteflika à #Villepinte , il m’avait promis de venir !

@nicolassarkozy Les Etats-Unis sont nos amis. Hey Barack !

@nicolassarkozy c’est pachque chuis un européen que chveu changer l’Europe

@nicolassarkozy IL EST TEMPS DE RENDRE LA PAROLE POLITIQUE CREDIBLE ! (arrêtez j’vais me faire pipi dessus)

@christianclavier OKKAAAAAAAAAAAAAYYYYYYYY !

@nicolassarkozy  bon allez zou fini, je vous laisse, j’ai rugby

@jf_cope ”on va gagner, on va gagner” c’est ça, et la marmotte …

@christineboutin très bel engagement de @nicolassarkozy contre l’avortement des centrales nucléaires, bravo !

@nicolassarkozy MESSAGE DE SERVICE pour le carré VIP, vin d’honneur au Fouquet’s ensuite

@gerarddepardieu on n’était pas bien là, à #Villepinte décontractés du gland ?

@ddouillet qu’est-ce qu’il prend de la place @gerarddepardieu …

@NicolasSarkozy c’est vrai que @fdebeauce il a twitté en utilisant #sarkothon ? Traître.

@gerarddepardieu mon royaume pour un WC libre !

@OfficielMV supèr show de @nicolassarkozy il a vrément défonssé @fhollande, au top de la bogossitude ! Vazi Sarko !

@nicolassarkozy A TOUS LES TWITTOS éléments de langage : “tournant de la campagne”, “meeting très réussi”, “courage”, “vérité”

@vpecresse Un meeting très réussi, plein de courage et de vérité. Le tournant de la campagne.

@lilianebettencourt il commence à quelle heure le meeting de @nicolassarkozy ? Je ne veux surtout pas rater le début !

Curation effectuée par Romain Pigenel pour l’Agence de presse Variae

Comment le halal a fait exploser la campagne de Sarkozy

La campagne de Nicolas Sarkozy devait consister en une blitzkrieg triomphante mettant la gauche a genoux en quelques jours. Il n’y a pas fallu attendre longtemps pour voir d’autres métaphores militaires s’imposer plus naturellement : la campagne de Russie, si ce n’est la Bérézina. Chaque semaine apporte son lot de couacs, incidents et ratages inimaginables en 2007. Ces 5 ans ont décidément laissé des traces.

Dans ce bourbier, la polémique autour du halal tient une place particulier. Parce qu’elle est une des raisons de ce début de campagne raté, mais aussi parce qu’elle illustre parfaitement les difficultés du Sarkozy millésime 2012. Récapitulons.

 

Le 11 février, Nicolas Sarkozy ouvre le feu dans l’interview au Figaro Magazine qui préfigure son entrée en campagne. « Si les étrangers extraeuropéens pouvaient voter en France aujourd’hui, songeons comment risquerait d’évoluer le débat municipal dans telle ou telle commune : faut-il des cantines scolaires halal ? Des piscines réservées aux femmes ? Est-ce cela que nous voulons ? ». Le ton – ultra droitier et conservateur – est donné, et le lien entre halal et vote des étrangers établi.

 

Le 18 février, une concurrente de choc entre sur le marché de l’électorat anti-halal : Marine Le Pen. « Il s’avère que l’ensemble de la viande qui est distribuée en Ile-de-France, à l’insu du consommateur, est exclusivement de la viande halal […] Tous les abattoirs d’Ile-de-France vendent du halal, sans exception. » L’héritière FN frappe fort : l’État UMP laisse-t-il les Franciliens être nourris à l’insu de leur plein gré selon le rite musulman ?

 

Le 21 février, Nicolas Sarkozy, lors de sa matinale visite à la France-qui-se-lève-tôt à Rungis, entend stopper le début de psychose : la polémique « n’a pas lieu d’être ».

La député UMP François Hostalier n’a pas dû se lever assez tôt pour entendre son candidat, puisqu’elle dépose le 22 février une proposition de loi pour tracer le mode d’abattage des animaux … avant de la retirer quelques jours plus tard, le 11 mars, à la demande de l’UMP, car il ne faut « pas embrayer sur le discours du FN ». Bon.

 

Sauf que finalement, c’est visiblement la stratégie présidentielle que d’embrayer sur le FN. Le samedi 3 mars, à Bordeaux, Nicolas Sarkozy : « Reconnaissons à chacun le droit de savoir ce qu’il mange, halal ou non. Je souhaite l’étiquetage des viandes en fonction de la méthode d’abattage ». La veille, son fidèle Claude Guéant a de son côté relancé la ligne élyséenne initiale, faisant rimer halal et vote des étrangers : « Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent par exemple obligatoire la présence de la nourriture halal dans les repas des cantines ». Tremblez, Musulmans : l’UMP vous attaque désormais sur deux flancs !

 

Sauf que … la propre porte-parole du candidat-président n’est pas d’accord, et le dit sur le plateau de Dimanche Plus, le dimanche 4 mars. « Moi je trouve qu’il y a assez de raisons d’être contre le vote des étrangers aux élections au nom de l’indivisibilité de la citoyenneté et il y a assez de raisons d’être contre les repas confessionnels à la cantine pour qu’il ne soit pas nécessaire de faire un lien entre les deux. ». Aïe : qui croire, le Président, Claude Guéant, NKM ?

 

Lundi 5 mars, la confusion s’épaissit encore à l’UMP. Le premier ministre François Fillon, pour se désengager des soupçons d’islamophobie qui s’accumulent contre son camp, croit bon de s’en prendre également à la viande casher. « Les religions devraient réfléchir au maintien de traditions qui n’ont plus grand chose à voir avec l’état aujourd’hui de la science, l’état de la technologie, les problèmes de santé ». Tollé chez les Musulmans, les Juifs, et dans le reste du monde politique. Surtout que parallèlement, Nicolas Sarkozy a commis une sortie de route quelque peu délirante, affirmant, sans aucune preuve, que le halal est « le premier sujet de préoccupation, de discussion, des Français ».

Dans la soirée, Salima Saa, membre de la direction nationale de l’UMP, s’indigne sur Twitter : « je ne cautionne pas les propos qui assimilent l’abattage de la viande hallal à des “pratiques ancestrales ».

 

Mardi 6 mars, Jean-François Copé entre dans la danse … contre Fillon. « Ce vocabulaire n’est pas le mien et ne sera jamais le mien. Personnellement, je ne prononcerai jamais ces mots ». Alain Juppé dégaine aussi, contre Sarkozy, Guéant et Fillon : « J’ai déjà dit que le ‘choc des civilisations’ n’était pas ma tasse de thé. Je pense que le problème de la viande halal est un faux problème en réalité, qu’il y a d’autres vraies questions qu’il faut se pose ». Vous suivez toujours ? N’oublions pas le franc-tireur Rachida Dati, qui y va de son petit coup de pied de l’âne à Fillon : « Viande halal et viande casher, François Fillon mélange tout. Il s’immisce dans les pratiques religieuses et sort de son rôle. »

 

Jeudi 8 mars, rien ne va plus. C’est d’abord Nicolas Sarkozy sur RMC qui désavoue à la fois Claude Guéant, et sa propre interview du Figaro Magazine : « Question : Pensez vous vraiment que si les étrangers avaient le droit de vote aux élections locales, les musulmans imposeraient demain la viande Halal dans les cantines ? Nicolas Sarkozy : Non. […] Faire le lien c’est excessif’ ».

C’est ensuite le zorro chiraquien Jean-Pierre Raffarin qui passe à l’attaque, lors d’un déplacement : « Quand j’écoute la campagne nationale, je constate un décalage avec la réalité du territoire […] Avec Nicolas Sarkozy, nous ne sommes pas d’accord sur tout ». Effectivement.

 

Que déduire de cette cacophonie consternante ?

 

Que la campagne de Nicolas Sarkozy, d’abord, n’a pas de cap. Le fameux « capitaine dans la tempête » n’a d’autre boussole que celle des sondages en berne et des opérations réussies de ses adversaires. Il y répond au coup par coup, par des … coups décousus et parfois contradictoires.

 

Que Nicolas Sarkozy, ensuite, fait campagne tout seul. Comment est-il seulement possible que la porte-parole-parole du candidat, le Premier Ministre, le Ministre de l’Intérieur et le chef du parti majoritaire soient en désaccord sur des thématiques aussi importantes, et qu’ils aillent par-dessus le marché exposer ces désaccords dans les médias ? La conclusion s’impose d’elle-même : il n’y a pas vraiment d’équipe de campagne.

 

Que les ténors de l’UMP, enfin, ont intégré qu’ils allaient perdre et qu’ils jouent déjà le coup d’après, en cherchant à prendre leur distance avec le radeau de la Méduse sarkoziste, et à se démarquer les uns des autres. Du coup, leur prophétie risque bien d’être auto-réalisatrice, tant ils brouillent et rendent inaudible la parole présidentielle.

 

Romain Pigenel